Pour les stoïciens, le monde serait un corps immense, vivant, mû et généré par un principe unique (un souffle chaud, intelligent). Avant les stoïciens, Aristote employait déjà le verbe sumpneo (co-respirer ou conspirer) dans Politiques, évoquant la nécessité politique de fabriquer un souffle commun dans la cité.
La “respiration de combat” est une notion développée par Franz Fanon dans L’an V de la révolution algérienne (1959), au sujet du souffle coupé (et à renaître) du peuple algérien : “Il n’y a pas une occupation du terrain et une indépendance des personnes. C’est le pays global, son histoire, sa pulsation quotidienne qui sont contestés, défigurés, dans l’espoir d’un définitif anéantissement. Dans ces conditions, la respiration de l’individu est une respiration observée, occupée. C’est une respiration de combat.”
Pensée du dévoilement, le soufisme enseigne que le monde ne cesse d’être recréé. A chaque instant, tout retourne à Dieu au rythme d’une respiration. Dans Le soufisme. Expressions de la quête mystique (1977), Lalleh Bakhtiar écrit : “À tout instant, la création est anéantie et recrée. À chaque battement de notre cœur, nous mourrons et nous renaissons. Le monde existe en un mouvement intense, montant vers l’axe vertical présent en toute chose pour se porter au-devant de l’Absolu qui descend à lui en des formes manifestes”.
La pensée tremblante fait référence à la “pensée du tremblement” chère à Edouard Glissant. Une pensée multiple, non ou anti-hégémonique qui surgit de partout, par secousses : “Elle nous préserve des pensées de système et des systèmes de pensée. Elle ne suppose pas la peur ou l’irrésolu, elle s’étend infiniment comme un oiseau innumérable, les ailes semées du sel noir de la terre. Elle nous réassemble dans l’absolue diversité, en un tourbillon de rencontres. Utopie qui jamais ne se fixe et qui ouvre demain, comme un soleil et un fruit partagés.” (La cohée du lamentin. Poétique V, Gallimard, 2005)
(Texte de Selebe Yoon, Dakar & Camille Lévy Sarfati)