Les rêves prennent des formes multiples et participent à la résolution des tensions interpersonnelles ou communautaires.
Néanmoins, peuvent-ils être considérés comme inefficaces dans la résolution de ce processus, considérant leur potentiel lacunaire et leur insuffisance de polyvalence ? Nous tenterons d'énumérer quelques facteurs - non exhaustifs - qui rendent les rêves parfois inaptes à résoudre des situations complexes ou conflictuelles.
Le rêve : des concepts multiples
D'un point de vue physiologique, le rêve correspondrait à une activité mentale qui se produit lors du Rapid Eye Movement (la phase de sommeil paradoxal). Toutefois, il peut se manifester à d'autres moments et dans d'autres états de conscience, tels que les états de conscience modifiés, les hallucinations ou encore les expériences spirituelles.
Le rêve se dit aussi de nos aspirations.
À en croire l'animatrice radio Pénélope McQuade, le rêve peut avoir bien des significations. Il peut correspondre à nos aspirations ou aux rêves que nous faisons lorsque nous dormons. Il peut aussi renvoyer au fait de vivre quelque chose d’idyllique pendant un temps. Mais souvent, il reste quelque chose de lointain et de difficilement atteignable.
Par extension, le rêve peut être culturel ou social. Les aspirations s’étendent alors à l'échelle communautaire. Celles-ci touchent souvent à des questions de justice sociale, d'équité et de changement positif.
Une autre forme de rêve rejoint celle de rêve culturel ou social que nous venons d'aborder : le rêve narratif ou mythologique. Freud explique dans un article peu connu du public, “Le poète et l’imagination”, daté de l'année 1908, que les mythes sont très vraisemblablement des vestiges déformés de fantasmes de désir communs à des nations entières et qu’ils représentent les rêves séculaires de la jeune humanité.
Outre le songe, les aspirations, les rêves culturels et mythologiques, d'autres concepts sont liés à l'idée du rêve, comme l'intuition, les expériences mystiques ou encore les rêves lucides où le rêveur est conscient de ses rêves, pouvant même parfois les contrôler.
Nous nous limiterons à notre sélection de concepts pour déterminer en quoi le rêve contribue à résoudre les tensions interpersonnelles ou communautaires.
Comprendre et résoudre des tensions interpersonnelles ou communautaires à partir du rêve
Concernant les rêves faits pendant le sommeil, il est évident qu'en les partageant et en les analysant, le rêveur prend conscience de ses sentiments et permet l'ouverture d'un dialogue authentique avec celles et ceux avec lesquels il les partage.
Quant aux aspirations, elles sont la raison fondamentale des actions. Tout ce que l'on fait, pour soi ou pour autrui, a pour but de répondre à nos besoins ou ceux d'autrui, pour citer le propos de Caneton sur la question de la philosophie naturaliste.
Selon un professionnel de la santé anonyme qui a étudié les fonctions du rêve, les mythes et les contes eux-mêmes imprègnent notre culture et notre personne et influencent nos rapports avec le monde extérieur.
Le rêve social est un concept qui suscite un grand intérêt. Dans le milieu de la santé mentale, il a donné lieu à des pratiques analytiques transpersonnelles. C'est le cas des Social dreamings, une méthode thérapeutique de groupe. En voici le principe décrit par Ganaëlle Stride, psychanalyste au Pôle de soins “Marguerite” : Les personnes se positionnent en groupe, assises à même le sol, souvent en cercle. Certains thérapeutes la pratiquent en spirale avec des repères clés concernant les personnes positionnées au centre, en milieu et en sortie de spirale.
Pendant une séance, 3 personnes vont exprimer chacune un rêve. Les rêves sont développés par les membres du groupe. La technique utilisée est l’association libre : chacun est libre de prendre la parole à tout moment pendant la séance. A partir du moment où un rêve est exprimé dans la matrice (terme introduit dans la psychologie par Foulkes SH.), il lui appartient. C’est-à-dire qu’il cesse d’être une propriété personnelle au rêveur, mais qu’il appartient à chaque membre du groupe, pouvant ainsi recouvrir autant de formes d’interprétations possibles qu’il y a de membres.
Les apports de cette forme de thérapie par le rêve sont à la fois riches et constructifs. Ganaëlle Stride parle de transformation de la pensée des rêveurs par la libre-association, d'une nouvelle forme de réflexion et de pensée, amplifiée d'un point de vue panoramique : celui du groupe.
Au cours d'une telle thérapie, les connaissances s'accroissent. Les Social dreaming matrices (terme pour désigner les séances de Social dreaming) mobilisent l’usage de métaphores mathématiques et mécaniques, ainsi que la logique formelle, la logique de l’évolution et des métaphores organiques et dialectiques. On prend connaissance du monde personnel avec plus d'acuité.
Mais, pour reprendre une citation de Jacques Lamarche, romancier et essayiste québécois : On peut rêver devant la beauté, on agit devant le danger.
C'est là qu'il devient nécessaire de s'interroger sur les limitations de l'efficacité de la résolution des tensions interpersonnelles ou communautaires par le rêve.
Il ne faut pas rêver sa vie mais surtout la vivre
Rêver sa vie peut amener à fuir les conflits réels. Véronique Kohn, psychologue et psychothérapeute depuis plus de 40 ans, en sait quelque chose : quand je rêve d’un monde meilleur, je peux soit commencer à agir à ma mesure du petit humain que je suis, soit préférer le rêve parce que poser des actes demande des efforts soutenus et le rêve évite l’effort. Je m’évade, je rêve d’autre chose que ce qui est, tout simplement parce que je ne supporte pas ce qui est, je suis trop orienté sur le manque pour tolérer ce réel inconfortable.
D'autre part, le rêve donne lieu à des interprétations subjectives qui peuvent entrer en contradiction les unes avec les autres.
Dans un article paru le 3 juin 2024 sur le blog Faster Capital, l'interprétation subjective est définie comme un processus d'attribution d'un sens et d'une signification à des informations sur la base de croyances, de valeurs et d'expériences personnelles.
De ce fait, les individus peuvent interpréter différemment le même événement ou le même élément d’information, conduisant à des perspectives et des compréhensions diverses.
Le rêve ne conduit pas nécessairement à une perspective de résolution des tensions, car le rêveur peut rester attaché à des pratiques ou des croyances existantes. Cette résistance peut s'étendre à tout l'environnement du rêveur.
Par ailleurs, les tensions interpersonnelles prennent parfois leur source dans un état émotionnel profond qui attend d'être résolu.
C'est pourquoi les rêves et les aspirations ne suffisent pas toujours à gérer ces tensions.
La gestion du stress et des émotions est un levier important dans la résolution de conflits, confie une psychologue-e-santé aux patients de la clinique, car les situations conflictuelles peuvent souvent susciter des réactions émotionnelles intenses. Pour gérer efficacement un différend, il est précieux de développer une bonne gestion de son propre stress et de ses émotions.
Cette liste n'est pas exhaustive, mais elle révèle néanmoins que les rêves n’ont d’importance qu’en corrélation avec d'autres mécanismes de résolution.
Pour conclure, nous rappellerons que le rêve est multidimensionnel et qu'il contribue, d'une certaine manière, à la résolution des tensions interpersonnelles ou communautaires. En revanche, son utilisation est optionnelle, en ce que d'autres mécanismes de résolution entrent en compte dans la gestion de ces tensions. Le rêve reste tout de même une piste à explorer. Il mérite d'être vulgarisé et étudié dans ses processus et mécanismes pour tirer parti de ses bénéfices.