Elle a changé de monture, pris une pouliche blanche qui la fait passer dans des voies secondaires, dans des chemins de traverse. Seule, en monture légère.

Elle s’élance,
Rien ne l’arrête, ni péage, ni loisir.
Il y a cette rage en elle, venue de Solitude.

La rupture fait date, tranchée dans le vif.
Ne pas se laisser happer par Désolation, ni céder aux Regrets et construire.

Mais quoi ?
La fougue, la force, encore plus fortes, qui tout à coup la surprennent, recouvrent tout, propulsent. Descendre de sa calèche, quitter ses nombreux chevaux, ses nombreux bagages, enfourcher un cheval blanc, heureux, libre et léger.
Dans les champs d’artichauts, son exil volontaire voit grandir l’Espérance.

L’élan trouvé en chemin vient dynamiter, dynamiser une trajectoire, la rend plus accentuée, lui donne plus de relief.
Relief, relever : un même mouvement, une autorisation, une injonction faite à soi-même. Dans la trajectoire, identifier des brisures, des cassures, des moments-clés qui marquent d’un sceau, charnellement, chaleureusement, Ainsi, trouver son assiette.

L’amour bafoué.
L’amour, d’autant plus reconstitué, d’autant plus désireux de remporter Victoire.
C’est ainsi que se vit la trajectoire, heurtée, vivante, urticante parfois au contraire d’une ligne en apesanteur, sans aspérité ni âpreté…
Pourtant l’âpreté…

Les pleurs, sur la monture, on ne saurait dire…
si la résistance au vent fait pleurer les yeux
ou si le chagrin, la rage contenus, s’expriment enfin dans la liberté, dans le mouvement.
Ils font le sel, le sel de l’allure, lui donnent tout son goût avec un fond d’amertume que les flots soulagent, apaisent. Librement liquides. Amor fugit.

Certains l’aperçoivent de loin traverser les espaces, dans la fulgurance, la fidélité et la foi. Cette allure, vitale, le mouvement, là est son histoire, son histoire de cap et d’épée.
Loin de la plainte infinie, elle n’entend plus que le galop, les oiseaux et le vent dans ses oreilles. Elle voyage à l’estime.

Elle ne veut ni présenter aux autres ni imposer au monde cette manifestation de larmes. Quoi qu’elle réalise, construise, concrétise, Joie est dans la course, par les chemins. On ne peut qu’avancer. Dans l’espace du déplacement. De la transformation.

Savoir quitter et différer de soi-même, dans un récit, un logiciel, romanesques, ultra-féminins et extrêmement mobiles, dans une histoire qui se raconte, se déroule et se déploie ou cherche à le faire, par tous les moyens.

« Pas de passagium sans un corps qui le vit et le reconnaît de l’intérieur quand il a lieu, car ici aucune frontière, au sens conventionnel, ne permet de l’identifier. La géographie de ce dépassement, jamais réversible, est intérieure autant qu’extérieure, les deux sont imbriquées l’une dans l’autre. »1

Quid de l’espace potentiel dont forcément elle dispose, mais comment l’atteindre ? Dans l’espace-temps chéri, investi, crédité, hors de tout terme et de toute limite, elle cherche à devenir, devenir tous azimuts et pour ce, bifurquer.

Quand Pharisiens professent l’unique pensée d’une unique nécessité, rabattue, repliée, sédimentée, en font leur-chose-à-eux.
Quelle erreur…
Quand à la fois sont saturés les espaces de liberté
et vidées les zones alentour par mimétisme ou grande peur,
fuyons dit-elle,
hors des rapports de forces, de faiblesses ou de places
(pour quel ordre, on se demande ?)
hors des rapports-sur-quoi-que-ce-soit,
auxquels s’accroche la hantise de la quête et du consentement…

Elle préfère l’enquête, sans copain ni victime, nul autre désir qu’indépendance, trop d’orgueil ou d’amour propre. Hors des sentiers battus, tenir la distance, chercher l’Entendement qui surprend.

Comme d’un panier de crabes, elle s’évade, elle s’élève,
métaphore animale d’un envol dans la liberté arrachée à la mort,
laissant derrière soi le chaos, la violence, le néant.
Sortant par le haut, un oiseau de feu, (un dragon peut être… ? la force qu’il a fallu…)
vient atterrir, ailleurs et autrement,
devient tortue, prête à risquer l’épopée terrienne, traversée d’autres mondes peut-être hostiles, encore. Courage, on verra bien.

Rêves de crabes, de plumes et d’écailles… il faut encore rêver, de tout autre chose. De romanesque, où l’amour totalement présent, puissant, la déborde, l’entraîne, la propulse.
Superbe chevauchée, fougueuse alternative pour dire, penser, écrire, tracer sa voie, choisir ses termes, ses questions, sa manière de les tisser dans une libre intellection.
Un moteur romantique, mêlant imagination, poésie, réalisme. Un geste aux effets de vérité et de beauté.

La fougue poétique, remarquable, mobile, courant vers le désir et la joie,
sous le Vent soulevant la poussière,
traversant Mélancolie après constat de Catastrophe.
Amour réalisé d’un désir demeuré désir.

Elle découvre que…
admirer et s'élever, être portée par une idée est une activité consolatoire
aux antipodes des Envies, Mimétismes et Jalousies qui irritent et font pleurer.

Elle découvre que…
le travail peut y conduire, par chemins de traverse, sans garantie de rien mais avec ouvertures.
Il y a des moments dans une histoire, aussi simple soit-elle, qui se font aventures hors cadres.
La vie l'exige et nous y oblige. En devenant une hypothèse nécessaire.

Elle découvre …
d’autres pensées et d’autres senteurs : je ne sais pas ce que je cherche, ni même encore ce que je trouve ; mais l’idée est inséparable de son allure. Elle engage, expose et rend sensible.

Poésie fait advenir, fait jaillir des flux de pression, oblige au lâcher-prise, à l’apparent oubli : je construis du sens à partir de ce que je trouve et cherche, parfois sans le savoir.

Si la mélancolie ne se fuit pas, elle se traverse et la rage est un moteur : la Rabbia, matière à travailler, avec d’autres, rencontrés sur le bord du chemin ; puis vient la Joie, de la transformation vers l’action, le désir, la philia. S’imaginer autre se fait avec souplesse, plus qu’avec vertu.

Notes

1 Passagium : « L’expression latine parle en fait d’une sortie de chez soi et d’un mouvement de dépassement, sans suggérer l’idée de violation d’une limite. Au Moyen Age, on appelait passagium tout ce qui avait à voir avec le voyage (temps, espace, mouvement) et faisait sortir des lieux habituels pour aller ailleurs, un ailleurs inconnu, vers lequel l’esprit du voyageur était tourné. » Luisa Muraro.