À l’heure où le néo-mysticisme représentait un marché mondial fructueux de $2.1 milliards en 2021, et où le hashtag #tarot réalise plus de 3.5 milliards de vues sur Tiktok, les interrogations sur la portée spirituelle du jeu le plus « mystérieux » de l’Histoire deviennent monnaie courante.

Depuis le début de la crise mondiale du Covid-19, l’on assiste à un essor significatif de toutes les pratiques de bien-être d’une part, et celles à portée divinatoire d’autre part. Naturellement, dans cette environnement de repli sur soi, l’usage des cartes de Tarot comme outil de développement personnel s’est peu à peu généralisé.

On ne compte plus d’ailleurs les étalages consacrés aux oracles divinatoires dans les coins désormais de moins en moins reculés des librairies, alors qu’il y a quelques années de cela, ces derniers étaient confinés dans les rayons ésotériques de boutiques spécialisées.

Plutôt que d’expliciter l’engouement incroyable pour le Tarot (rassurant pour les inconscients collectifs) dans cette période anxiogène de notre société moderne, enquêtons sur les racines de cette pratique, et déterminons si elle contient en soi une forme d’expression spirituelle.

Bien qu’il existe plusieurs théories sur la naissance du Tarot, tout semble avoir officiellement commencé au Nord de l’Italie, à Milan, au début du XVe siècle. Du moins, les historiens et les collectionneurs s’accordent sur les preuves de son existence à partir de 1430 dans les hauts cercles de la noblesse en plein cœur de la Renaissance italienne. Aucune piste concrète ne permet encore de faire le lien avec un usage plus ancien du jeu de Tarot dans l'Histoire, mais les interprétations faites par certains ésotéristes en appellent à une filiation pour le moins… originale !

Si l’on s’intéresse en premier lieu à l’étymologie du mot, on observe que le Tarot a d’abord été nommé carte da trionfi (triomphe ou atout en français) dans les cercles où on y jouait, et que son usage était initialement réservé à un jeu de cartes classique.

En termes de géographie et de temporalité, le jeu s’est progressivement propagé en Europe et sur les abords de la Méditerranée : d’abord en France (avec le célèbre Tarot de Marseille par exemple) mais aussi en Suisse, en Espagne, au Portugal, en Allemagne, puis même au Maghreb. Chaque zone géographique a développé ses spécificités en termes d’illustrations, de style et de règles.

Pour expliciter brièvement la composition du jeu, celui-ci compte traditionnellement soixante dix-huit cartes, parmi lesquelles on retrouve les cartes dites classiques avec quatre enseignes (signe distinctif) ; et bien sûr les fameuses vingt-deux cartes d’atout. Chaque enseigne possède un symbole distinctif propre (cœurs, deniers, épées et bâtons pour la version latine) et quatorze cartes lui sont dédiées. Le degré d’ascension se fait de un à quatorze, en comptant les figures jusqu’au roi qui symbolise d’ordinaire la maîtrise. Dans l’interprétation divinatoire, chaque degré de l’ascension symboliserait une étape de l’évolution spirituelle.

Dans le jeu de Tarot, ce sont évidemment les cartes dites d’atout qui ont contribué à alimenter toutes les interprétations ésotériques à travers le temps, allant des plus sérieuses aux plus farfelues. Parmi ces cartes, en voici ci-dessous quelques-unes qui font partie des plus populaires dans la culture néo- folk, ou néo-spirituelle : Le Monde ; le Soleil ; la Lune ; L’Étoile ; le Diable ; le Fou ; le Magicien ; etc.

Ces cartes d’atout ont par ailleurs fait l’objet d’une numérotation bien précise selon un standard général (hormis quelques créations originales qui s’en sont démarquées, tel Papus ou Oswald). Chaque atout correspond à une étape initiatique du chemin spirituel, et chaque cycle complet est formé par la totalité des vingt-deux atouts. En première position (rang 0), on retrouve habituellement le Fou, la carte représentant l’aventurier ultime qui se jette dans l’inconnu, réalisant son premier pas dans le vide. C’est l’impulsion nécessaire pour démarrer un nouveau voyage. À la fin du cycle (en rang 21), on retrouve la carte du Monde, représentant l’accomplissement, la réussite, le bilan, et la paix ressentie à l’autre extrémité du voyage. Pour zoomer rapidement sur le Monde, qui est une arcane assez emblématique du Tarot, on y retrouve les illustrations des quatre grands symboles présidant tous les courants de pensée spirituelle, à savoir : l’Homme ; le Lion ; le Taureau ; et l’Aigle.

Ces dernières années, on constate que la fascination pour le Tarot, l’astrologie et la symbolique divinatoire est revenue sur le devant de la scène populaire. À tel point qu’elle en a même peuplé les défilés de certains grands noms de la Mode parisienne (Christian Dior printemps/été 2021, pour n’en citer qu’un).

Mais alors à quoi font référence ces cartes célèbres ? Cela pourrait-il découler d’une ré-interprétation occulte ou mystique ? À quel courant de pensée spirituelle peut-on les associer ?

En termes de chronologie, il faudra bien attendre la moitié du XVIIIe siècle pour entendre le terme de cartomancie ou de divination en référence au Tarot.

Éliphas Lévi, qui a été le principal fondateur du mouvement occultiste en France, a développé une thèse selon laquelle le jeu de cartes serait la source originelle du symbolisme magique en Occident. Il transmet ses théories dans son « Dogme et rituel de la haute magie ». La fascination de l’essayiste pour l’occultisme le pousse même à avancer que les vingt-deux arcanes majeures (nommés ainsi depuis 1863) du Tarot correspondent en réalité aux lettres de l’alphabet hébreu, scellant par cette occasion une filiation avec la Kabbale (courant de pensée ésotérique du Judaïsme).

Lévi va même plus loin en s’appuyant sur d’autres penseurs avant lui, pour attribuer les origines du Tarot à une sagesse plus ancienne encore : à savoir les mystères égyptiens. Il fait le lien entre la légende d’Isis et d’Osiris, les mythes fondateurs de la transfiguration divine et l’alchimie (c.f le livre de Thot ou la sagesse d'Hermès Trismégiste).

Selon lui, le savoir sacré et caché, réservé aux plus hauts initiés de l’Égypte ancienne, aurait été transmis au prophète Moïse à travers les Tables de la Loi. Le sage aurait lui-même retranscrit cet enseignement dans le savoir occulte de la Kabbale. De fil en aiguille, les enseignements égyptiens secrets se seraient beaucoup plus tard révélés symboliquement à travers les cartes de Tarot dont les illustrations mystérieuses nous interpellent encore aujourd’hui.

Le Tarot n’appartient par conséquent à aucune religion à proprement parler, il transmet simplement les vestiges d’une sagesse millénaire, en donnant à l’Homme les clefs pour atteindre l’Illumination. Encore faut-il savoir les déchiffrer…

De nombreuses illustrations des cartes du Tarot présentent des symboles sacrés tel le sceau de Salomon, le principe binaire (Yin et Yang, Joakin et Boaz), La Croix, etc. Il est dit que ce savoir est inaccessible au lecteur lambda, que le degré de compréhension est si complexe qu’il demande une initiation complète… Beaucoup de cercles initiatiques comme la Rose-Croix ou la Franc-Maçonnerie ont été de près ou de loin associés à la transmission de ces sagesses occultes.

Tel est également le credo des alchimistes qui font correspondre le processus de la transformation de la matière pour atteindre l’or, avec celui de la transformation spirituelle pour atteindre l’éveil…

Qu’est-ce que l’Homme-Dieu ? C’est celui qui réalise dans la vie la plus humaine l’idéal le plus divin.

Eliphas Lévi.

Le sage laisse parler son cœur et garde le silence.

Hermès Trismégiste.

C’est en ce sens d’outil servant à l’union entre l’Homme et la divinité que le Tarot devient un objet mystique.

À travers l’Histoire, l’émoi pour l’occultisme se généralise au XIXe siècle et l’on assiste à une pléthore de créations artistiques, architecturales, littéraires en lien avec l’orientalisme ou « l’egyptomania ». Les plus célèbres exemples français, notamment parisiens, en sont la fontaine du Châtelet ou l’obélisque de la Concorde. Même la sphère poétique s’est emparé de cette ferveur pour l’occultisme, notamment avec les romantiques qui vouèrent un culte particulier pour les l’héritage spirituel de l’Antiquité. Gérard de Nerval, le poète maudit et mélancolique qui a notamment créé le Desdichado, en fit partie.

Aucune preuve tangible de ces théories n’a été véritablement démontrée à travers le temps, pourtant une partie de la classe supérieure des sociétés européennes s’est emparée de ces croyances et les a introduit dans son quotidien depuis le XVIIe siècle.

Ainsi, les premiers jeux de Tarot à portée uniquement divinatoire apparaissaient dès la fin du XVIIIe siècle en France et se répandaient dans toute l’Europe, puis jusqu’au monde entier de nos jours.

Une chose est sûre, le Tarot n’a pas fini de nous fasciner et nul ne sait s’il révélera un jour tous ses secrets…