Le serpent a toujours fasciné les hommes; il est mystérieux, effrayant, unique dans le règne animal. On le craint, parce qu'il se déplace sur le ventre, sans pieds, parce qu'il vit en solitaire et représente un danger permanent pour les êtres vivants. Cet animal, qui perd sa peau sans cesser de vivre, est considéré comme immortel. Un serpent la queue dans la bouche, semblant s'avaler lui-même, sans commencement et sans fin, peut être, comme le cercle ou la sphère, symbole de l'éternité. C'est un motif artistique courant, que l'on trace sur les tissus, que l'on peint sur les murs, que l'on exécute en métal forgé.

Mais cette vision négative de l’animal est surtout une vision biblique et abrahamique.

Aujourd’hui j’aimerais souligner l’ambivalence de la vision qu’ont entretenu les sociétés africaines. Plus particulièrement la société Fon du Bénin.

Les Fon racontent dans leur cosmogénèse que, quand le monde eut été créé, le serpent rassembla la terre entre ses anneaux et donna aux hommes un lieu de séjour. Il continue de maintenir le monde qui, s'il desserrait ses anneaux, se désintégrerait tout entier. Les anneaux du serpent sont ainsi répartis; trois mille cinq cents au-dessus de la terre, trois mille cinq cents au-dessous. Selon une autre version de la légende, le serpent dressa quatre colonnes, une à chacun des points cardinaux, afin de soutenir le ciel, puis, pour maintenir les colonnes droites, il s'enroula autour d'elles. Les trois couleurs primaires, le noir, le blanc et le rouge, sont les vêtements que le serpent revêt successivement la nuit, le jour et au crépuscule, et elles sont enroulées autour des colonnes du ciel.

Le serpent est essentiellement mobilité, il symbolise le mouvement de va-et-vient semblable à celui des roseaux sur l'eau. Les eaux, au-dessous de la terre, le recouvrent, car il habite l'océan et représente ainsi la plus grande puissance animée d'un mouvement incessant. Les anneaux du serpent ne sont pas immobiles, ils sont en perpétuelle révolution autour de la terre et maintiennent les corps célestes en mouvement.

Il est toujours possible de voir le serpent dans les étendues d'eau calme, dans les cours d'eau, dans l'océan. Il peut apparaître sous la forme d'un éclair lumineux, fendant les eaux; alors, sa voix retentit de tous côtés. Au commencement, le serpent ne trouva sur terre que de l'eau stagnante, aussi traça-t-il les cours des fleuves et les lits des rivières; ce fut ainsi que le monde reçut la vie. Le serpent fit parcourir le monde au créateur ; des montagnes naissaient à chaque fois qu'ils faisaient halte.

Selon une autre version; le serpent fut créé le premier, puis il partit, tenant dans sa bouche le Créateur qui créa le monde, lui donnant la forme que nous lui connaissons. Chaque nuit, quand ils s’arrêtaient, les excréments du serpent s’amoncelaient en grandes montagnes. C’est pourquoi, quand les hommes creusent dans les montagnes, ils découvrent souvent des trésors.

Lorsque le Créateur eut achevé son œuvre, il constata que les montagnes, les arbres et les grands animaux étaient trop nombreux pour que la terre puisse les supporter. Comment pourrais-je l’empêcher de sombrer dans la mer qui l'entourait ? Il demanda au serpent de s'enrouler sur lui-même, la queue dans la bouche, pour soutenir la terre. Et le serpent prit la forme de ces coussinets circulaires que les humains placent sur leur tête pour porter des jarres ou autres charges pesantes. Le serpent n'aime pas la chaleur et trouve dans la mer la fraîcheur qu'il souhaite. Dieu ordonna à des singes rouges qui vivent dans la mer de fabriquer des barres de fer pour nourrir le serpent quand il aurait faim. Chaque fois que le serpent modifie sa position, un tremblement de terre se produit. Si les singes oublient de le nourrir, le serpent sera obligé de manger sa queue. Dans ce cas, la terre, dont la charge d'hommes et de maisons s'est accrue depuis le commencement, s'enfoncera dans l'océan ; ce sera la fin du monde.