Parmi les histoires d’amour qui finissent mal, celle de l’oiseau du mandarin serait la plus triste. Sous la dynastie Ming vivait un mandarin prénommé Zhangqi. Il habitait dans une maison jaune aux murs bleus. Il enseignait l’histoire de l’art à la cour impériale. Le jour de ses noces, l’empereur lui avait offert un petit oiseau jaune, très rare.

De l’aurore au crépuscule, l’oiseau remplissait ce foyer sans enfant de sa douce voix mélodieuse. Mais, un jour, sans comprendre pourquoi, il restait inerte sur la balançoire, il ne chantait plus, la tête cachée dans ses ailes pour que Zhangqi ne puisse voir son regard triste. L’oiseau ne se nourrissait plus.

"WeiWei, ne meurs pas", lui murmura-t-il. "Si la vie dans une cage t’étouffe, vole, pose-toi sur une branche d’un arbre pour y construire ton nid. Mais, s’il te plaît, ne m’oublie pas."

L’oiseau leva doucement sa tête, fixa intensément son maître du regard, puis s’envola. Quelques jours plus tard, pendant que le mandarin déjeunait, WeiWei réapparut au bord de la fenêtre avant de venir se poser sur son épaule.

"As-tu faim ?"

Il lui tendit un petit morceau de sa brioche, que l’animal dévora aussitôt. Depuis lors, ils ne se quittaient plus. Il semblait même qu’ils avaient inventé leur propre langage pour communiquer. Plus cette union grandissait, plus la femme du mandarin sombrait dans une jalousie sans nom. Profitant de l’absence de son mari, elle captura WeiWei pour en faire le repas du soir.

Assis au bord de la fenêtre, Zhangqi guettait le moindre battement d’ailes. Il s’inquiétait pour son oiseau : j’espère qu’aucun malheur est arrivé à WeiWei, pria-t-il ardemment. De temps en temps, un coassement venant d’un buisson près du marais l’extirpait de ses songes mais aucun signe de WeiWei. Le mandarin délaissait son travail, passant ses journées, puis ses nuits à attendre en vain, le retour de l’oiseau. Un jour il se laissa mourir de chagrin. La lune qui veillait sur les âmes humaines, prit une telle pitié du mandarin et de son oiseau, qu’elle leur donna une seconde chance.

Durant plusieurs siècles, vie après vie, l’oiseau revenait dans le monde des humains sous la forme d’une jeune femme. Sa vie entière était dédiée à l’unique quête, à savoir de retrouver Zhangqi. Puis un jour de chance, dans une foule d’inconnus, WeiWei reconnut la voix du jeune homme. Elle se jeta sur lui et l’étreignit dans ses bras. "Zhangqi ! Enfin je t’ai trouvé ! Je t’ai cherché depuis la nuit des temps". sanglota-elle. La douceur de l’inconnue avait bouleversé le jeune homme. Néanmoins, il la repoussa gentiment en lui disant : "Mademoiselle, je ne m’appelle pas Zhangqi".

Puis il s’éloigna, retourna sa tête une dernière fois avant de disparaître dans la foule. Une flèche invisible traversa le cœur de WeiWei et l’a déchiqueté en miettes. Tête baissée, comme lorsqu’elle était un oiseau qui cachait sa tête dans ses ailes, elle traina jusqu’à l’ombre d’un saule pleureur et regarda la rivière bleue se perdre dans la mer. Pensant à Zhangqi, elle déversa toutes les larmes de son corps avant de se transformer en oiseau et s’envola rejoindre la lune pour oublier à jamais son galant tant aimé.

Cette histoire est librement inspirée de la toile « La Femme du Mandarin» de Lê Phổ, peintre vietnamien (1907-2001). C’était la première fois au monde qu’un tableau vietnamien faisait la couverture d’un catalogue. Le 19 décembre 1996, à Drouot, l’oeuvre de Lê Phổ était estimée à 8.000 euros, pour être finalement adjugée à 25.000 euros. Aujourd’hui, elle vaudrait 2 millions d’euros (source : Jean-Francois Hubert).