Montagne-eau et vent-lumière, c’est ainsi que la langue chinoise nomme le paysage. Deux couples complémentaires, qui se fondent sur le mouvement et le vide pour dire une nature vivante dans laquelle l’artiste s’intègre plus qu’il ne la décrit. Caribaï, artiste franco-vénézuelienne, est née à Tokyo. Elle a passé ses dix dernières années à Bruxelles. L’influence de l’Asie est très forte dans son travail, tant dans son approche de la peinture que dans les matériaux qu’elle utilise, le papier japonais, notamment.

L’exposition de Bruxelles rassemblera une trentaine d’œuvres récentes, depuis les grands polyptiques en bois, jusqu’aux suspensions de papier, beaucoup plus légères et aériennes. Pour entrer dans l’exposition, le visiteur traversera l’installation « Monde flottant », ainsi invité à s’immerger dans le paysage lui-même, et à participer à l’expérience qu’en propose Caribaï.

L’exposition « Dépaysages », faite d’alternance entre les matériaux lourds et légers, est ainsi conçue comme les œuvres elles-mêmes, dans un constant balancement entre les vides et les pleins qui plonge le regard tout entier dans la sensation de la peinture.

Dans le texte qu’il écrit pour le l’ouvrage consacré à Caribaï par CFC éditions, l’écrivain Akira Mizubayashi, insiste sur les ruptures à l’œuvre dans son travail : ruptures dans le rythme du pinceau, et dans l’œuvre elle-même par la juxtaposition ou la superposition des fragments de papier et des panneaux qui composent ses polyptiques (jusqu’à 8 panneaux pour Caïa I). Ces ruptures, écrit-il « introduisent une pluralité de points de vue qui pulvérise l’idée d’un seul regard contemplatif ». Dans ces compositions, nettement plus abstraites que figuratives, les vides, et les juxtapositions abolissent la notion d’échelle pour plonger pleinement le regardeur dans la sensation. La peinture de Caribaï est enveloppante. La place laissée aux vides, à l’espace entre les formes, abolit les limites de l’œuvre.

Les ruptures participent aussi au rythme des œuvres, à leur mise en tension. Il y a quelque chose de musical dans le travail de Caribaï. Dans les œuvres les plus récentes, chaque panneau d’un polyptique est de largeur différente, introduisant des rythmes nouveaux, plus marqués, tandis que les fragments de papier marouflés sur le bois, comme des bribes de perceptions, sont plus variés en taille et en couleur, élargissant ainsi la palette de Caribaï, habituellement contenue dans les bleus et les verts de différentes intensités.

Derrière la musique, on sent la danse. Caribaï évoque dans un entretien la notion de « pas-panneau », comme si chaque avancée de ses polyptiques était la mesure d’une chorégraphie. Et le corps a toute son importance dans ce travail. Il est tout entier mobilisé dans cette peinture très gestuelle, et même parfois violente quand le couteau de graveur trace de profondes entailles dans le bois du support, soutenant ainsi les grands mouvements du tableau.

Comme la peinture asiatique traditionnelle rend compte d’une émotion ressentie dans la nature bien plus qu’elle ne cherche à la représenter, le travail de Caribaï immerge le spectateur dans le rendu de ces sensations dans une expérience à la fois méditative et sensuelle.