Douceur paisible, sensibilité délicate, mais aussi force expressive et puissance des volumes : autant de caractéristiques qui distinguent au premier coup d’oeil les sculptures souabes de la fin du Moyen Âge. Pour donner à ressentir et comprendre cet art majeur dans l’Empire germanique et plus largement le coeur de l’Europe, le musée de Cluny lui consacre pour la première fois en France une exposition, ouverte au public du 1er avril au 27 juillet 2015.

Ancienne région historique du Sud de l’Allemagne située entre la Forêt-Noire et la Bavière, la Souabe est le théâtre d’une production sculptée abondante et de haute qualité entre les années 1460 et 1530. Le changement des sensibilités religieuses dans le contexte de la Réforme protestante y met fin. Des centres urbains tels que Ulm, Augsbourg ou Ravensburg abritent une intense activité commerciale et artistique. Des artistes y développent un travail virtuose du bois et une science raffinée de la polychromie qui conjuguent leurs effets subtils.

Une production collaborative

La proximité des petites cités du Sud de la Souabe (Memmingen, Kempten, Biberach…) avec les Alpes suisses et autrichiennes suscite une forte demande. Certains ateliers, organisés comme de véritables petites entreprises, se spécialisent dans l’exportation de retables jusqu’au fond des vallées alpines des Grisons ou du Haut Adige (aujourd’hui en Italie). Grâce à la circulation des oeuvres et des hommes, cet art qui conjugue sculpture et peinture répond au goût de l’époque et rayonne largement au-delà de la Souabe.

L’exposition permet d’évoquer plusieurs figures de sculpteurs de premier plan tels Niclaus Weckmann et Daniel Mauch à Ulm, mais aussi Ivo Strigel et son atelier, Lux Maurus ou Jörg Lederer dans les villes du sud. Organisée de manière collaborative, la production des sculptures dans ces ateliers fait intervenir plusieurs artisans, compagnons et apprentis du maître, de la conception de l’oeuvre à sa mise en couleur. Ainsi, il est rare que le maître réalise seul et entièrement une oeuvre.

Un art riche aux multiples facettes

Une trentaine de sculptures à la forte présence plastique sont présentées au fil d’un parcours chronologique et géographique. OEuvres essentiellement religieuses destinées au mobilier des églises, les sculptures souabes se distinguent par la grâce des types féminins et par un travail savant des drapés. Elles reprennent les codes vestimentaires de la mode au début du XVIe siècle. Le parcours de l’exposition est enrichi de coup de projecteur sur les aspects techniques et fonctionnels de cet art. Le visiteur est ainsi invité à tourner autour de la Sainte Barbe du musée Toulouse-Lautrec d’Albi pour en découvrir le revers et comprendre les techniques de taille. L’exposition s’achève par l’évocation du Parallelfaltensil, style développé en Souabe et qui connaît une large diffusion dans tout le sud de l’Allemagne. Caractérisé par des réseaux très graphiques de plis parallèles, il marque une rupture esthétique illustrée notamment par le Christ aux rameaux du musée du Louvre.

Retrouvailles

L’exposition offre l’occasion unique de reconstituer des ensembles démembrés depuis plusieurs siècles et dispersés dans les musées, parfois de part et d’autre du Rhin. Ainsi, l’émouvant Christ en prière du Louvre retrouvera exceptionnellement les Deux apôtres endormis du Maximilianmuseum d’Augsburg qui appartenaient à l’origine à un même groupe monumental du Mont des oliviers.

L’exposition met également en lumière la richesse des collections publiques françaises dans le domaine de la sculpture souabe. Paradoxalement, cet art très apprécié par les collectionneurs français de la fin du XIXe et du début du XXe siècles est aujourd’hui largement méconnu du public. Autour du noyau de sculptures souabes appartenant au musée de Cluny et de prêts importants du musée du Louvre, une sélection d’oeuvres issues d’une douzaine de musées français, complétée par des prêts accordés par des institutions d’Allemagne et d’Autriche, permet de restituer un panorama très complet de la diversité de cet art.

Les expressions artistiques de l’Europe médiévale

Aboutissement autant que nouveau point de départ, l’exposition s’inscrit dans un projet plus large d’étude, de publication et de mise en valeur des sculptures germaniques dans les musées de France, dont la production souabe est emblématique et prépondérante par le nombre des oeuvres. Elle est un nouveau jalon de la politique d’expositions du musée de Cluny en faveur de toutes les expressions artistiques de l’Europe médiévale, en particulier de l’Allemagne et de l’Empire germanique au sens large, affirmant ainsi la vocation européenne du musée.

Exposition organisée par le musée de Cluny et la Réunion des musée nationaux - Grand Palais.