Intitulée Du cercle aux carrés, hauts-reliefs situés et in situ, l’exposition de Daniel Buren chez Mennour repose sur une combinaison à la fois géométrique et colorée, générant un plaisir immédiat sur un plan perceptif tout autant que cognitif.

Depuis sa première monographie en 2007 qui inaugurait le 47 rue Saint-André-des-Arts, Daniel Buren a multiplié les expositions personnelles au sein des quatre espaces parisiens de la galerie et dans les foires du monde entier, parmi elles : « C’était, c’est, ce sera, travaux situés », « Quand les carrés font des cercles et des triangles : hauts-reliefs situés », « Au fur et à mesure, travaux in situ et situés », « Pyramidal, hauts-reliefs, travaux in situ et situés », « Plis contre plan, hauts-reliefs, travaux situés », etc. À l’instar de plusieurs autres de ses travaux, les œuvres exposées jouent avec la présence du visiteur et initient un dialogue riche avec le site. Refusant en effet depuis la fin de années 1960 tout système qui subordonnerait ses œuvres à un point de vue unique et partant du principe que le lieu, quel qu’il soit, est en fait le fond, « le cadre, [le] support réel où s’inscrit — se compose — l’œuvre 1», Daniel Buren réaffirme ici que ses productions « ne sont pas des objets, mais des modulations de l’espace ; qu’elles n’existent jamais pour elles-mêmes 2 », mais s’inscrivent dans leur lieu d’apparition, qu’elles soulignent et révèlent.

Composé de hauts et bas-reliefs, ce nouvel ensemble conjugue l’ingrédient miroir, la couleur — les différentes nuances utilisées sont choisies au hasard dans une gamme industrielle —, et l’outil visuel de l’artiste, soit des bandes verticales, alternativement blanches et colorées, de 8,7 cm — un outil qui a comme première qualité « d’être un signe invariable au milieu de millions de choses possibles qui n’arrêtent pas de varier 3 ». Entre plan et relief, peinture et sculpture, les œuvres situées appartenant à la série Du cercle aux carrés relèvent d’un agencement chaque fois singulier de solides aux couleurs vives, répartis en damier, en lignes, ou en croix sur une grille imaginaire faite de carrés de même taille, sur un plan circulaire en miroir. Les bandes sont apposées sur le côté des prismes, et se voient dédoublées.

Ce dédoublement est également à l’œuvre dans les travaux in situ, en hauts et bas-reliefs, imaginés dans et pour la dernière salle, qui, munie de velux zénithaux, est baignée d’une lumière naturelle changeante tout au long de la journée. Pour souligner ou redoubler cette variation constante, l’artiste installe d’un côté une suite d’œuvres affichant un angle aigu, qu’il titre d’une façon relativement énigmatique : Une fois j’te vois, une fois non, travail in situ, en superposant les mêmes prismes jusqu’à atteindre la hauteur voulue ; et sur le mur opposé, une série de parallélépipèdes, en trois dimensions, produits en aluminium-Dibond de 2-3 millimètres d’épaisseur, matériau qu’il utilise depuis son invention. Bien qu’aucune transformation physique de l’architecture ne soit opérée ici, Daniel Buren élabore un puissant jeu poétique et sensible, qui s’active au gré des déplacements du public, et renouvelle indéfiniment les perspectives et les points de vue par le truchement de la réflexion des surfaces. Comme en mouvement, les œuvres se transforment ainsi continuellement, absorbant en leur sein tout autant l’espace environnant que le corps des visiteurs.

(Texte par Emma-Charlotte Gobry-Laurencin)

Notes

1 Daniel Buren, « Fonction du musée » (1970), in Les écrits 1965–2012, Volume 1, 1965–1995 (Paris: Flammarion/Cnap, 2013), p. 160.
2 Daniel Buren, « Vous êtes en face d’un récepteur... » (1975), ibid., p. 416.
3 Daniel Buren, « Échanges avec Dominique Petitgand et Guillaume Désanges » (2006), in Les écrits, Volume 2, 1996–2012, p. 1103.