La dernière sculpture de Walter De Maria, Truck trilogy, sera présentée pour la première fois en dehors des États-Unis lors d’une exposition à la galerie Gagosian Le Bourget, à partir du 19 octobre, mois qui aurait marqué le quatre-vingt-dixième anniversaire de l’artiste. Intégrant trois pickups classiques des années 1950, cette sculpture n’a été exposée qu’une seule fois auparavant, à la Dia Beacon à New York, entre 2017 et 2019. Présentée aux côtés d’une sélection d’autres sculptures, dessins, films et documents d’archives rarement vus, Truck trilogy constitue la pièce maîtresse d’une exposition qui met en lumière la préoccupation constante de De Maria pour la mesure précise et l’imaginaire. Intitulée The singular experience, l’exposition est organisée par Donna De Salvo, conservatrice adjointe principale à la Dia Art Foundation — l’entité qui a commandé, conserve et gère l’accès aux sites des installations permanentes mondialement reconnues de De Maria : The lightning field (1977), The broken kilometer (1979), The New York Earth room (1977) et The vertical Earth kilometer (1977).

Conçue en 2011 et achevée à titre posthume en 2017 selon les instructions précises de l’artiste, la dernière œuvre de De Maria se compose de trois pickups Chevrolet Advance Design 3100, des modèles emblématiques fabriqués de la fin des années 1940 au milieu des années 1950, durant la jeunesse de l’artiste. Polis, dépouillés de tout élément superflu, et donc de toute fonction, et munis de tiges verticales en acier inoxydable insérées dans leurs plateaux en panneaux de chêne massif, ces pickups apparaissent comme des monuments à la fois austères et hallucinatoires. Une configuration différente de tiges triangulaires, carrées et circulaires surmonte chaque véhicule, transformant ces outils de transport en balises géométriques de réflexion. À la fois humoristique et solennelle, industrielle et métaphysique, l’œuvre condense la quête de De Maria visant à fusionner le brut avec l’émerveillement. Truck trilogy est accompagnée de 13, 14, 15 meter rows (1985), une sculpture au sol composée de quarante-deux tiges solides en acier inoxydable poli, de forme polygonale, disposées horizontalement en trois rangées, chacune augmentant d’un mètre en longueur. L’œuvre témoigne de la fascination de De Maria pour les séquences mathématiques génératrices d’harmonie visuelle, tout en reflétant le mouvement des spectateurs.

De Maria était un percussionniste expérimenté, et les motifs rythmiques, la fréquence et les perceptions de l’harmonie peuvent être retrouvés dans l’ensemble de son œuvre dès les années 1960, époque où il était un membre clé de projets musicaux avant-gardistes dans le centre de New York. Membre fondateur des Druds (aux côtés d’Andy Warhol, Patty et Claes Oldenburg, Jasper Johns, Larry Poons et La Monte Young), De Maria a ensuite joué de la batterie avec les Primitives, un groupe qui deviendra plus tard le Velvet Underground, et a produit des œuvres sculpturales et conceptuelles directement liées à la musique.

Les qualités musicales et poétiques du mètre et de la répétition se retrouvent tout au long des œuvres présentées au Bourget. L’agencement des cinq pièces séquentielles de 10 through 17-sided open polygons (1984) suscite une plus grande conscience de la distance, de l’angle et de la présence physique du spectateur. Les dessins — tels que les énigmatiques Invisible flying saucer (1974) — et les films comme Hard core (1969) et Three circles and two lines in the desert (1969) répondent au critère de De Maria selon lequel « chaque œuvre devrait avoir au moins dix significations » et soulignent l’étendue de ses pratiques, rigoureuses mais ludiques, systématiques mais imaginatives.

Cette dualité se retrouve ailleurs à Paris dans l’œuvre de De Maria intitulée Monument to the bicentennial of the french revolution 1789–1989 Located at the Assemblée Nationale, Paris (1989–90). Commandée pour commémorer le bicentenaire, la forme géométrique rigide de la base en granit de la sphère dissimule un cœur en or 18 carats incrusté à l’intérieur, témoignant de la tendresse qui se cache sous des formes et structures précisément calculées.

Cette œuvre publique, l’exposition au Bourget et la présence de De Maria dans l’exposition Minimal, dont le commissariat est assuré par Jessica Morgan, directrice de la Dia Art Foundation, qui ouvre simultanément à la Bourse de Commerce à Paris, offrent une vision élargie de De Maria, bien au-delà des étiquettes qui lui sont confiées du Land art ou du minimalisme. Elles montrent un artiste qui a laissé transparaître l’humanité à travers la précision de l’ingénierie et du calcul mathématique. L’exposition du Bourget incarne l’esprit de De Maria, qui résiste aux interprétations figées, en mettant l’accent sur la relation directe entre le spectateur et l’œuvre — ou, comme l’a écrit le critique David Bourdon, « l’expérience singulière ».

L’exposition est organisée en collaboration avec la succession de Walter De Maria, avec le soutien d’Elizabeth Childress, directrice des archives Walter De Maria.