Esther Schipper a le plaisir d’annoncer la deuxième exposition personnelle de Karolina Jabłońska à la galerie et sa première dans notre espace parisien. Seize nouvelles peintures à l’huile sur toile et sur bois y sont présentées. L’exposition est accompagnée d’un essai de la commissaire et chercheuse Mėta Valiušaitytė ; en voici un extrait, le texte complet étant disponible à la galerie et en ligne.

Dans Jarred kitchen, Karolina Jabłońska met en scène des rencontres autour de la préparation des aliments : découper, conserver, présenter. Sa nouvelle série explore les paradoxes de la préservation, transformant la cuisine en un espace où convergent humour, mémoire, corps féminin et travail domestique. Les grandes toiles submergent le visiteur : des têtes féminines monumentales, peintes sur des supports de deux mètres, l’entraînent dans un monde de géantes. Lorsque leurs yeux ne sont pas fermés, leurs regards sont attentifs, mais distants, comme étrangers à leur environnement domestique. Les œuvres plus petites conduisent le visiteur dans l’intimité d’un garde-manger. Des bocaux en verre sont remplis de concombres marinés, de betteraves et de baies rouges – mais parmi eux flottent des fragments de corps humains.

L’humour noir de Jabłońska transforme les scènes domestiques en lieux de tension et d’étrangeté. Le motif de la tête revient tout au long de son travail. Inspiré de ses propres traits, c’est un visage qu’elle a appris à dessiner rapidement et qu’elle réintroduit aujourd’hui selon les besoins, presque comme une image toute faite. Dans The Egg Maker, un visage pâle occupe toute la surface, mais il est inopinément muselé par une main posée sous son nez doucement incurvé. Cette paume est aussi un nid et porte trois œufs. Comme le note l’artiste, le tableau évoque la sensation d’une « boule dans la gorge », un moment de tension entre libération et retenue.

Alors que les peintures représentant l’alter ego de l’artiste sont exécutées sur de grandes toiles de lin, les œuvres de plus petit format sont peintes sur des panneaux de bois. Mesurant à peine vingt centimètres sur quinze, elles sont à peine plus grandes qu’une main humaine. Jabłońska commence à travailler sur de petits supports en bois lorsqu’elle cherche un moyen d’archiver les motifs de ses peintures plus grandes. Elle acquiert des panneaux initialement destinés à la peinture d’icônes, les apprête et les polit méticuleusement elle-même, trouvant une certaine satisfaction dans ce processus lent et dévoué. Certains de ces panneaux montrent un bocal posé sur une surface en bois, représenté avec l‘immobilité d’un portrait d’objets à la manière de Cézanne. L’acte de préserver l’abondance estivale pour survivre à l’hiver est profondément enraciné dans la culture domestique polonaise. Dans les œuvres de Jabłońska, ces bocaux, appelés « słoiki » en Pologne, deviennent non seulement des récipients pour la nourriture, mais aussi des vecteurs transparents de mémoire : souvenirs de survie en des temps incertains, de prévoyance et du travail invisible des femmes. Les peintures de Jabłońska transforment ces souvenirs en allégories, où la cuisine devient un théâtre de gestes maladroits. L’exposition est un garde-manger de mythologie personnelle, où l’humour et l’horreur coexistent.