Dans Forcing connections, Dennis Osadebe invite le spectateur à questionner sa perception de la relation entre les artefacts ancestraux et les technologies contemporaines. Par son langage visuel unique, l’artiste dévoile des résonances et des possibilités inattendues, ouvrant un dialogue fluide entre des éléments en apparence contradictoires mais en réalité complémentaires. Cette exposition marque une étape de maturation dans la pratique de Dennis Osadebe, plus délibérément ancrée dans l’exploration de l'identité nigériane envisagée dans un contexte mondialisé. Travaillant principalement à l'acrylique sur toile, tout en créant des sculptures à partir de matériaux locaux, Dennis Osadebe développe une vision qui entremêle une pratique à la fois traditionnelle et contemporaine. Les œuvres de cette exposition montrent sa conception du processus créatif comme une voie de recherches plutôt que d'affirmation, une manière de poser des questions et non d’apporter des réponses.

L'exposition présente des œuvres colorées mêlant des éléments culturels ancestraux, telles que des masques africains (évoquant le masque de la Reine Idia, du Royaume du Bénin, au Nigeria), des éventails rituels et des sculptures traditionnels, avec des technologies contemporaines (smartphones, écouteurs et autres appareils numériques). En dialogue avec l’histoire, Dennis Osadebe ouvre la réflexion et nous émeut par son usage de tons audacieux et de lignes nettes donnant vie à des compositions à la fois surprenantes et naturelles. Le langage visuel qui en résulte prolonge l'héritage culturel nigérian tout en parlant couramment la langue de la culture digitale mondiale.

« J’aime jouer avec l’idée de tradition du futur », explique-t-il. « Chaque ville recèle d’une tradition qui inspire l’avenir, et il y a toujours une tension entre les deux. Les jeunes se battent pour l'avenir, mettant parfois de côté l'âme et le cœur même de la culture. »

L'exposition montre comment des objets autrefois considérés innovants font à présent partie du patrimoine culturel. Un masque en bois traditionnel se transforme en un objet historique qui survit à son créateur, tandis que nos technologies modernes sont constamment actualisées, les mises à jour successives les rendant rapidement obsolètes.

Dans des œuvres comme Balance, où des personnages masqués en tenues colorées brandissent des objets cérémoniels connectés à des appareils modernes, et The great experiment, dont les modèles portent à la fois des artefacts culturels et des technologies contemporaines, l’artiste explore les thèmes de la connexion et du vivre ensemble. Créant ce que l'on pourrait appeler un effet de « contamination productive » à partir de juxtapositions suggérant une continuité plutôt qu'une rupture temporelle, Dennis Osadebe ouvre un espace hybride où tradition et technologie s'enrichissent mutuellement.

Dennis Osadebe puise dans la photographie ouest-africaine du milieu du XXe siècle, et s’inspire tout particulièrement des œuvres de photographes maliens tels que Seydou Keïta, Malick Sidibé ou encore Adama Kouyaté. Il est fasciné par la dualité qui traverse leurs photographies, où les liens entre les sujets aux tenues appareillées sont manifestés par des poses délibérées. C’est ce même sentiment de connexion qu’Osadebe évoque de manière à chaque fois unique dans les oeuvres Balance, The great experiment et Positive and negative, en représentant ses sujets avec une gravité qui rappelle la tradition du portrait formel tout en intégrant des éléments contemporains.

Dans la série Still life, Dennis Osadebe dispose des objets ancestraux aux côtés de technologies modernes sur des surfaces à motifs rappelant les textiles de l'Afrique de l'Ouest. Ces compositions s'inspirent à la fois de la tradition de la nature morte européenne et de la manière dont les photographes ouest-africains utilisaient des accessoires pour signifier le cosmopolitisme et la modernité. Dans cette série, l’artiste s’approprie le genre de la nature morte d’un point de vue africain, suggérant que ce que l’on considère comme une tradition artistique occidentale a des parallèles indigènes, s'inspirant de la manière dont des photographes comme Sidibé et Keïta disposaient délibérément des objets pour véhiculer des signifiants culturels.

Untitled Bouaké d'Adama Kouyaté est une autre de ses sources d’inspiration. Cette photographie représente une femme toute habillée en train d’écouter la radio allongée, réinterprétation d'un motif traditionnellement représenté nu dans l'art occidental. Osadebe poursuit cette démarche de réinterprétation culturelle dans la série Forcing connections ainsi que dans sa sculpture Untitled, qui montrent des personnes se tenant dans des poses formelles comme pour des photographies tout en interagissant avec des sources de connexion ancestrales et contemporaines. Le contraste entre leur attitude sérieuse et ces juxtapositions ludiques crée une tension intéressante tout au long de l'exposition.

Tout au long de cette série d'œuvres, l’artiste a été guidé par la question : « que pourrait-il sortir de cette conversation ? ». En forçant à établir des liens entre des éléments disparates, Dennis Osadebe invite les spectateurs à se poser la question suivante : le passé et le futur peuvent-ils parler le même langage ? La technologie peut-elle servir à préserver la sagesse traditionnelle ? La tradition et l'innovation peuvent-elles coexister ?

L’exposition Forcing connections n’apporte pas de réponses définitives mais ouvre un espace où les spectateurs peuvent trouver des résonances personnelles. Certains verront peut-être la technologie comme un outil de conservation culturel, tandis que d'autres se rappelleront la valeur de l'artisanat traditionnel à travers le temps. Mais tous seront invités à participer à cette conversation sur l’intégration de l’intemporel et du transitoire au sein d’un monde de plus en plus numérique.

À travers ces œuvres, Dennis Osadebe nous rappelle que technologie et tradition n'existent pas séparément : elles s'informent et s'enrichissent mutuellement, et nous mettent au défi de les embrasser ensemble comme parties intégrantes de notre expérience culturelle partagée. L’artiste nous invite ainsi à réfléchir à notre propre relation à la tradition et à la technologie, pour nous demander ce qui pourrait émerger de ces connexions forcées.