L’adstrat1 qui est compris en linguistique, comme la langue ou le parler qui se superpose à une autre langue ou à un autre parler en y imprimant des influences linguistiques. C’est ainsi que, les langues des opprimés ou des colonisés particulièrement celles des africains subissent justement cette influence. La question que nous nous posons est de savoir est-ce que dans l’adstrat les langues des colonisés vont-elles disparaître ? Cette question, le superstrat, nous montre que, l’influence des langues des dominants est bel et bien possible mais ne substitue pas les langues des dominés.

La langue constitue l’épicentre de la mondialisation ou de la globalisation. Elle accompagne la culture, l’économie, la politique, la science et même la technologie. Elle rime avec la puissance. Dans sa thèse de doctorat Robert, Lemba, reprend le propos de Simone Veil : « l’Europe ne doit pas s’incarner dans un simple instrument de puissance sur le plan industriel, mais davantage s’affirmer comme un modèle sans précédent dans l’histoire de notre civilisation »2, dans son livre regroupant les neuf études sur la politique Européenne de la culture, tout en indiquant clairement que, les langues européennes ne doivent plus se définir comme de simples instruments de communication, mais elles doivent véhiculer efficacement un projet de domination culturelle qui signale les ambiguïtés du but poursuivi par la technologie du nouveau réseau de communication et d’information3. « Ce système, écrit-il, peut être utilisé par l’individu pour son propre développement, mais aussi, par des institutions anonymes et par des États, pour libérer l’individu, l’émanciper tout comme pour l’écraser.

Le champ culturel dépend de l’empire politique comme le montre Jean-Marie Domenach qui pense qu’une politique des langues est d’abord une politique étrangère d’un État envers d’autres. Cet auteur constate que l’Europe va consolider les micro-cultures régionales pour peser dans le projet du cosmopolitisme culturel4.

Ce qui se comprend est que certaines langues européennes avalent les langues des pays dominés d’une part, que le plus grand danger de ces derniers réside dans leurs réactions laxistes d’une part.

Clarifications des concepts clés

Ce point, nous aidera à comprendre certains concepts particuliers qui constituent l’essentiel de notre étude. Nous allons analyser les concepts tels que la langue, la glottophagie, et la mondialisation.

Langue

Système d’expression verbale de la pensée comportant un vocabulaire et une grammaire définis, relativement fixes, constituant une institution sociale durable, qui s’impose aux habitants d’un pays, et demeure presque complètement indépendante de leur volonté individuelle. Lalande, montre encore, que la langue est aussi une manière d’écrire d’un auteur ; manière de parler ou d’écrire d’un groupe plus ou moins restreint5.

Glottophagie

a) Etymologiquement ce mot vient du grec ancien γλῶττα, glôtta, variation de γλῶσσα, glôssa (« langue ») avec le suffixe -phagie dérivé du grec -φαγια, -phagia, issu de φάγος, fagos (« glouton »). Ce terme assez explicite signifiant littéralement qu’une langue en mange une autre, a été créé par Louis-Jean Calvet dans Linguistique et colonialisme, petit traité de glottophagie (1974), où il analyse les rapports entre le discours linguistique et le discours colonial sur les langues : la langue du colonisé est dénigrée, infériorisée, alors que celle du colonisateur est valorisée6.

b) En linguistique, c’est une tendance qu’a un idiome dominant à faire disparaitre les autres idiomes dominés.

c) Autre aspect de la glottophagie : en situation de conquête, une des modalités de l’oppression d’un peuple ou d’une communauté passe par la domination exercée sur sa langue.

Mondialisation : dans ce mot nous avons le concept monde, du latin mondus, son correspondant en grec kosmos au sens de l’univers. Nous utilisons ce terme pour désigner l’ensemble des continents, des pays et des peuples. En s’attachant un peu, à la conception wittgensteinienne qui conçoit le monde comme tout ce qui arrive7. La mondialisation, comprise à notre sens, comme la mise ensemble de tout et de tous dans une perspective purement économique, tout en brisant les frontières géographiques ; grâce à la cosmopolitique qui propulse l’ordre de jeu et impose sa vision du monde.

L’avenir des langues africaines face à la mondialisation

Dans ce monde actuel, la puissance économique et politique contient une force réductrice des cultures dominées et partant des langues de celles-ci, Michel Foucault avait dénoncé cette situation en écrivant ceci : « certes, les discours sont faits de signes, mais ce qu’ils font, c’est plus que d’utiliser ces signes pour designer des choses. C’est ce qui les rend irréductibles à la langue et à la parole ». Ajout-il, « les puissants de ce monde ne veulent pas se limiter au jeu du marché, mais ils veulent aussi procéder à des tentacules (en Zoologie appendice allongé et souple de certains ciliés vers et mollusques, muni d’organes visuels, olfactif, tactiles ou souvent à attraper des proies) dans la sphère culturelle8. La mondialisation est un processus qui veut unifier des cultures particulières. Le monde est présenté comme un seul espace de circulation et de communication prétendument planétaire9.

Selon les partisans de cette unité universelle, le monde aurait connu une formidable contraction. Les forces centripètes auraient décisivement vaincu les forces centrifuges. Au point que ne prévaudrait dorénavant, qu’une seule culture vers laquelle évolueraient tous les acteurs de la terre.

Dans le processus de cet ordre, les identités culturelles dans leur aspect différentiel ne trouvent pas leur place. L’émergence d’un véritable système planétaire, en faisant du marché le lieu de convergence unique des acteurs et des actions, effacerait illico les spécificités des communautés linguistiques.

Nous constatons que, quelques langues européennes amenderaient un futur à construire. Selon ce scénario, les différences culturelles anciennes sont sans conséquence sur l’ordre naissant. C’est ainsi que nous assistons au remplacement de nos langues par les langues des puissants jusqu’à rendre les africains culturellement leurs imitateurs10.

La mondialisation coïnciderait avec la fin des cultures nations. Les héritages passés n’imposeraient plus leur veto sur les possibles à venir.

Dans ce contexte, insiste Robert Lemba, la mondialisation ne serait qu’une unité culturelle du genre humain qui profiterait à tous.

Bref, la mondialisation n’engendrerait que des intérêts dans le rendez-vous du donner et du recevoir. La question que nous nous posons alors avec Robert Lemba est la suivante : pourquoi le projet de la mondialisation sur les cultures dominées est-il glottophagique ? Coïncide-il avec l’avènement d’un monde nouveau où les nationalismes, les ethnicismes et les replis de toutes sortes seraient enfin dépassés ? À cette question Dome répond en disant que la mondialisation veut gommer des différences dont elle se nourrit. Elle impose au contraire sa logique au sein d’un espace planétaire commandé par les puissances économiques et politiques. Cette hiérarchisation module les affrontements idéologiques des acteurs inégaux parmi lesquels certains détiennent des avantages notables sur les autres qui leur permettent de structurer l’espace qu’ils dominent afin que les conditions de cette domination soient maintenues dans le temps11.

La culture de la mondialisation devient donc une culture d’anonymat où s’exercent des rapports de pouvoir et de domination. De plus, avec les flux et reflux de capitaux au niveau mondial, à travers notamment les multinationaux, les frontières classiques des États deviennent des structures mouvantes. C’est ainsi que nous pensons que le problème ne sont pas les langues qui sont une expression de la culture d’un peuple ; mais la culture des dominés. Les locuteurs des langues africaines doivent savoir que la survie de leurs langues est un combat. Car les africains n’ont pas été les seuls au monde à être dominés. La seule issue est d’imiter les asiatiques, tels que les coréens et vietnamiens, ou les arabes, qui ont survécus à cette influence.

La résistance à l’actuel ordre de la mondialisation

Dans cette manière de voir les choses, il sera question de préconiser une autre façon de concevoir la mondialisation ; par le concept de l’altermondialisation, qui constitue une nouvelle forme de la mondialisation. Jean Ziegler, le sociologue suisse, voit dans la résistance à la mondialisation une chance de salut pour l’humanité. En revanche, sont nombreux ceux qui prennent la mondialisation comme la solution de la lutte contre les maladies, la misère, les forces naturelles, et les guerres que les hommes créent12.

Si avec Ziegler, l’altermondialisation est une chance pour l’humanité, alors, qu’est-ce qui sera le centre de cette nouvelle forme de la mondialisation ?

Ce centre, à notre égard ne peut être que l’humanisation des cultures, surtout, celles des opprimées. La nouvelle forme de la mondialisation, dans son rendez-vous de donner et de recevoir, notre préoccupation est de savoir comment répondre à cet appel mondial ? Car nous sommes actuellement opprimés culturellement, à cause de notre propre occidentalisation. Cette situation n’est-elle pas comprise par la métaphore du « complexe d’Œdipe », dont le destin était de tuer son père et d’épouser sa mère comme gage de son salut. À savoir que l’occidentalisation porte le symbolisme du père, qui mérite d’être tué ; notre culture qui se manifeste à travers nos langues qui symbolise la mère qui doit être épousée, comme à la manière des orientaux.

La mondialisation dans son aspect glottophagique, n’accorde aucune chance aux langues des sociétés opprimées surtout africaines. Par la nouvelle forme de la mondialisation, la seule issue est d’imiter les asiatiques tels que les japonais, les chinois, les coréens, les vietnamiens, ou les arabes qui ont réussi à survivre à cette domination. La tâche qui est la nôtre est de travailler pour aider à nous attacher à notre culture pour faire ressortir le meilleur d’elle-même, afin d’en présenter au rendez-vous de donner et de recevoir notre chef d’œuvre.

Notes

1 Jean Dubois et al., Dictionnaire de linguistique, Paris, Larousse, 2011, p. 77.
2 Vandamme, J., cité par R. Lemba Tiebwa Robert Langue et interculturalité : Quête de modernité et d’idonéité Francophone dans l’œuvre de Marc Quaghebeur. Kinshasa, Thèse soutenue au Département de Philosophie, FLSH, UNIKIN, 2004, p. 94-95.
3 Edgar Morin, cité par R. Lemba Tiebwa, Op.cit., 2004, p. 96.
4 J.-M. Domenach , Approches de la mondialisation, Paris, Ellipses, 1978, p. 8.
5 André Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, PUF, Neuvième édition, 1962, p. 554.
6 Glottophagie, consulté le 12/10/2018 à 12h15.
7 Ludwig Wittegeistein, Tractatus logico-philosophique, traduit de l’allemand, préambule et notes de Gilles-Gaston Granger, Paris, Gallimard, 1993, p. 28.
8 Michel Foucault, L’archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969, p. 67.
9 R. Lemba Tiebwa, Op.cit., p. 96-97.
10 Mabika Kalanda, La remise en question, texte de la conférence suivi des notes et questions-réponses., Kinshasa, 1968, p. 14-15.
11 Dome, M., « Mondialisation, une chance pour l’Afrique », dans les enjeux de la mondialisation pour l’Afrique, Actes des journées philosophiques de Canisius, avril 1998, Kinshasa, Ed. Loyola, 1998, p. 95-107.
12 Jean Ziegle, Les nouveaux maîtres du monde et ceux qui leur résistent, Paris, Fayard, 2002, p. 12.