La galerie Perrotin présente Élan Vital, la troisième exposition personnelle de l’artiste mexicain Gabriel de la Mora et la seconde à Paris. Pour cette nouvelle exposition, l’artiste associe des matériaux organiques tels que les ailes de papillon à des matériaux inorganiques comme l’obsidienne dorée. Ensemble, elles interrogent le spectateur sur ce qu’est la vie, sur ce qu’est l’élan vital.

L’idée qu’il existe une force vitale séparant les êtres vivants de la matière ordinaire est très ancienne et persiste encore à ce jour. Au début du XXe siècle, Henri Bergson a introduit le concept «d’élan vital» pour désigner cette force propre aux entités vivantes; il permet d’expliquer cette énergie comme quelque chose de plus élaboré qu’une simple caractéristique émergeant de la matière lorsqu’elle atteint un certain degré de complexité. Bergson lui-même postulait cependant que notre pensée, dans sa forme logique la plus pure, est incapable de présenter ou de comprendre la véritable nature de la vie et la signification profonde du processus évolutif – en effet, la vie n’est pas entièrement compréhensible, car nous ne pouvons pas expliquer la disparition brutale de cette force après la mort.

Dans sa quête d’explication de la division entre la matière vivante et la matière inorganique, Bergson soulignait les caractéristiques qui différencient les êtres vivants du reste des choses. Gabriel de la Mora choisit la direction opposée dans son exploration par la pratique artistique, empruntant les chemins nécessaires pour montrer la réalité comme un continuum, au sein duquel toutes les entités coexistent sur un même plan – cela se voit par exemple dans la façon dont il unit, en peinture, polychrome et monochrome. Ainsi ces œuvres n’abordent-elles pas directement le débat sur l’existence d’un élan vital, mais donnentelles forme aux réflexions sur le passage du temps et sur la mémoire, qui émaillent la recherche de Bergson.

Selon le philosophe, les objets inanimés manquent d’une empreinte durable ou d’une histoire car ils ont déjà atteint le maximum de leur potentiel – toutes leurs configurations possibles sont toujours présentes, nous montrant un état déterminé qui n’est visible que selon un arrangement spécifique de leurs éléments. Chez les êtres vivants, au contraire, existe une accumulation du passé qui déborde dans le présent sous la forme de la mémoire, ce que l’on peut comprendre comme une forme de conscience de la durée et du passage du temps.

Cependant, par opposition à la matière, cette accumulation est un pouvoir purement créatif qui s’est manifesté dans l’évolution des espèces par la recherche de nouvelles possibilités visant à se préserver, un «élan vital» que l’on retrouve chez tous les êtres vivants. Il se singularise toutefois en chaque individu, qui exprime cette créativité dans sa croissance, sa reproduction, et de manière encore plus évidente dans sa transformation de la matière qui l’entoure. La vie est volonté, elle est le désir de création qui s’éveille dans la conscience de l’être vivant et dans sa capacité à agir sur son environnement. Il ne s’agit pas d’une tâche réservée à l’esprit: la conscience existe dans la matérialité du corps, et c’est le corps qui permet la manipulation des objets.

Les œuvres de Gabriel de la Mora constituent une approche pratique du raisonnement de Bergson, depuis la sélection de supports qui ne semblent pas assortis jusqu’à la façon dont l’artiste les travaille. Cette exposition associe des matériaux organiques tels que les ailes de papillon, qui bien qu’elles aient perdu leur force vitale portent en elles l’histoire de l’évolution des espèces, à des matériaux inorganiques comme l’obsidienne dorée, qui est le produit de violentes éruptions suivies d’un refroidissement rapide. Placés côte à côte, ils interrogent le spectateur sur ce qu’est la vie, sur ce qu’est l’élan vital, et sur les parallèles entre l’activité géologique et la vitalité organique. Cette combinaison de matériaux fait également référence au mythe de la déesse aztèque Itzpapálotl, ce papillon d’obsidienne qui représente les femmes mortes en couches, et qui nous dévoile que la mort est une étape essentielle de la création de la vie.

L’élan créatif de l’artiste s’exprime dans l’organisation de fragments minutieusement sélectionnés pour créer une configuration spécifique à chaque objet – configuration qui, dans le cas des œuvres en obsidienne dorée, poursuit la transition entre figuration et abstraction, et qui contrairement à ce que Bergson pensait, ne donne pas à voir un état final arbitrairement choisi, mais plutôt à voir qui se déploie sous les yeux du spectateur. Si celui-ci bouge ou si la lumière change, même de manière très subtile, ces œuvres prennent une toute nouvelle apparence et nous parlent ainsi du processus constant de changement de la vie, qui n’est pas un état mais une tendance, un désir permanent, un pouvoir de transformation toujours sur le point de se réaliser.

(Text by Eric Nava Munoz)