Le « dark tourism » est un terme défini par John J.Lennon, professeur anglais qui a conceptualisé cette notion au sein d’un ouvrage « Dark tourism : the attraction of death and disaster », publié en 2000. Il a été repris par Philip R. Stone, directeur de « l’Institute for Dark Tourism Research », en 2006, comme étant « l'acte de se rendre sur des sites associés à la mort, à la souffrance et à ce qui semble macabre ».

Bien que la définition soit moderne, la pratique est ancienne si l’on pense aux combats de gladiateurs du Colisée ou même encore aux exécutions publiques. Cet intérêt primaire pour le morbide s’est transformé avec la modernité et ce n’est que récemment qu’il est rentré dans le champ du tourisme, pratique elle aussi moderne. Le terme péjoratif vise un certain nombre de « visites touristiques » éthiquement condamnables même si les chercheurs apportent des nuances et que sous cette appellation, nous pouvons trouver des visites de certains musées ou des pèlerinages commémoratifs.

Ainsi, il existe de nombreux tour-opérateurs proposant la visite d’Auschwitz, Tchernobyl, Dallas ou encore Phnom Penh. Le « Dark tourisme » englobant aussi bien le génocide que la catastrophe naturelle et un tourisme de mémoire plus « avisé ».

L’artiste Ambroise Tezenas, artiste photographe français, a réalisé une série de photo consacrée à cette thématique : « I was here, Tourisme de la désolation » exposé en 2015 à Arles. Après avoir vécu le tsunami au Sri Lanka en 2004 et assisté à la destruction d’un train par la vague, tuant 2000 personnes, il tombe en 2008 sur un article expliquant que la ruine de ce train est devenue une attraction touristique avec photo à l’appui. C’est le début de ses visites touristiques du camp de concentration d’Auschwitz, du mémorial du génocide au Rwanda, de Tchernobyl ou encore du circuit de l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy par exemple.

De Tchernobyl, il nous lègue des photographies de salles de classe notamment, abandonnées, où un semblant de nature reprend ses droits, et nous ramène une anecdote : « la guide a consulté son petit compteur indiquant la radioactivité et annoncé en nous montrant l’aiguille : « Il ne faut pas rester, c’est très contaminé, ici » ; une femme s’est aussitôt écriée : « Mon Dieu, partons ! ». Mais il y avait une telle excitation dans sa voix… ». Il retient également la visite de l’ancienne prison soviétique de Lettonie de Karosta, privatisée aujourd’hui et transformée en hôtel où l’on peut vivre les conditions d’enfermement de l’époque une nuit, les tortures en moins !

De la fascination ambiguë pour un site radioactif à une dérive marketing hôtelier, le dark tourisme porte bien son nom.

Concernant le site d’Auschwitz l’assimilation au « Dark Tourisme » est plus dérangeante. Il est considéré comme un lieu de mémoire, encadré avec supports et visites pédagogiques. Mais l’organisation touristique amène à des « consommations » particulièrement malheureuses en vue de l’histoire du lieu. L’artiste cite notamment cette publicité de compagnie de cars proposant : « Auschwitz avec un billet aller-retour ? C’est possible ! » et ses photos montrant des dizaines de visiteurs photographiant à tout-va interpellent tout particulièrement.

Les lieux de mémoire peuvent ainsi amener à certaines dérives propres au « dark tourisme ». L’artiste Shahak Shapira reprend sur Instagram les selfies pris au mémorial de la Shoah et pointent ces dérives. Le nom de son projet est particulièrement parlant « Yolocaust », contraction de Yolo « you only live once » et Holocauste. Il y dénonce la mode consistant à se prendre en photo dans des poses amusantes au mémorial de Berlin en réalisant des photomontages particulièrement choquants qui mettent en parallèle la photo moderne et des photos de victimes de la Shoah.

Ou comment le règne du selfie pour dire « J’étais là » prend le pas sur la conscience et le jugement historique…

Pour contrer ces comportements, une seule solution : la pédagogie. Celle-ci, et l’enseignement de l’histoire, peuvent bien heureusement dépasser l’aspect « morbide » du « dark tourisme », et la culture, ayant une plus haute valeur symbolique que celui-ci, peut permettre d’avoir un tourisme éclairé.