Interview d'Olivier Greber, Président de la Compagnie des Guides de Chamonix, l’une des plus anciennes et des plus grandes compagnies de France, voire du monde.

Quel est votre parcours ?

Je suis le Président de la Compagnie des Guides, j’ai passé le diplôme de guide en 1989 et j’exerce toujours la profession. La Présidence ne me laisse plus autant de temps que je voudrais pour aller en montagne mais je continue malgré tout d’y aller.

Quel est votre rôle en tant que Président de la Compagnie des Guides ?

La Compagnie des Guides est toujours une association. Elle regroupe 250 professionnels environ, parmi eux il y a 180 guides et le reste en accompagnateurs en montagne. Ces derniers sont limités aux moyens techniques c’est-à-dire qu’ils n’ont pas le droit ni d’aller sur les glaciers, ni d’utiliser cordes et piolets ou autres instruments techniques de progression. C’est la Compagnie la plus ancienne et la plus grande de France voire du monde. A la différence de beaucoup d’autres structures c’est toujours une association. L’ensemble des actionnaires de la Compagnie des Guides sont les membres de cette association. A ce titre-là est élue une équipe pour trois ans comportant au minimum un Président, un trésorier et un secrétaire qui vont représenter ses membres. Il y a deux autres entités, l’une d’entre elles est la Caisse de Secours, qui fête cette année ses deux cent ans car la première mention de la Compagnie des Guides est de 1823 dans le règlement de l’époque où il est stipulé qu’une partie des revenus sera affecté au secours des guides blessés. C’était pour l’époque extrêmement novateur car nous pouvons parler de première caisse de retraite ou de première sécurité sociale. S’ajoute à cela une autre entité qui est la SAS de façon à pouvoir « commercialiser » des tout compris c’est-à-dire de la randonnée, de l’hébergement etc. L’ensemble des actionnaires de cette SAS sont uniquement les membres de l’association. L’objectif de la Compagnie des Guides est de faire travailler nos membres dans leur milieu.

Quelle est l’histoire de cette Compagnie ?

La toute première mention d’une organisation des guides date de 1821. A cette époque c’est grosso modo le bazar dans la vallée, chacun essaye d’attraper un client ici ou là, à la sortie du train, de l’hôtel ou des diligences. Le Conseil Municipal tente alors d’organiser le business pour que l’accueil pour les clients soit meilleur. Il édite alors une première liste de guides homologués et le tout premier règlement visant à « organiser » le tourisme à Chamonix. A l’époque, la Savoie et la Haute-Savoie sont sous un régime italien de Piémont-Sardaigne et c’est en 1823 que le Roi de Piémont-Sardaigne édite un premier règlement royal. L’origine du métier c’est un peu l’organisation du tourisme à Chamonix.

Pouvez-vous nous définir ce qu’est le métier de guide de haute montagne ?

Le métier de guide est de partager ses connaissances du milieu montagnard avec ses clients. Pour le guide cela va être en haute montagne, il va partager des connaissances techniques et emmène les gens sur un glacier, faire de l’escalade. Le métier d’accompagnateur en montagne va être de faire découvrir le milieu montagnard un peu plus globalement cela peut aller de la faune, de la flore à la géologie. Au début du métier, les guides exerçaient le même métier que les accompagnateurs. Aujourd’hui il y a une différenciation au niveau technique. Le guide est sûrement un des professionnels qui a les plus grandes prérogatives puisque cela va de la randonnée glacière encordée sur un glacier jusqu’à de l’escalade glacière ou rocheuse, du canyon, de la via ferrata, de l’école d’escalade, de l’école de glace. Le diplôme de guide est difficile, il faut environ cinq ans entre le premier examen jusqu’à la fin de la formation.

Aimer la montagne suffit-il à être guide ?

Pour faire le métier de guide, il ne suffit pas d’aimer la montagne. La première condition est d’aimer et de partager. Il faut avoir envie de partager ses connaissances avec ses clients. Un guide n’existe pas sans ses clients. S’il n’aime « que » la montagne il faut qu’il change de métier. Je compare quelque fois le métier à celui de restaurateur. S’il n’aime que faire la cuisine, sans partager, ça n’est pas la peine. Il y a une citation de Lionel Terray qui est assez significative : « Pour l’exercer convenablement, notre métier demande plus de qualités morales et intellectuelles que d’adresse et de force. Et cette primauté de l’esprit sur la matière est toute sa noblesse. L’une de ses beautés est aussi de donner de la joie à son client. Il faut être capable de dévouement pour aider ceux qu’on accompagne à surmonter leurs faiblesses. Il faut une patience rare pour supporter sans nervosité de progresser un jour entier à allure parfois trois ou quatre fois inférieure à la sienne, de la psychologie pour aider moralement le client dans ses efforts et malgré la fatigue et le découragement l’amener à les poursuivre jusqu’au terme ; du courage pour accepter quotidiennement l’inévitable part de risques que comportent toutes les courses en montagne. Il faut un goût exceptionnel de l’effort pour effectuer presque chaque jour des ascensions de souvent plus de dix heures, il faut une grande ingéniosité pour éviter les pertes de temps et les efforts inutiles pour combiner au mieux son emploi du temps pendant une période d’activité intense. En exerçant cette profession j’ai appris qu’il y a pour se dépasser d’autres chemins que celui des ascensions exceptionnelles, celui-là bien que plus austère et moins spectaculaire, me semble conduire vers la joie. » C’est Lionel Terray dans les Conquérants de l’inutile. On peut citer également Gaston Rébuffat qui voit la montagne à travers les yeux de ses clients et donc du bonheur qu’il peut leur procurer. Ses citations sont souvent basées sur le partage de cette expérience avec les clients plus que sur la réalisation technique des différentes courses.

J’imagine qu’il y a aussi beaucoup d’histoires à raconter…

On a tous des anecdotes avec nos clients, l’histoire de l’alpinisme et l’histoire de Chamonix et de la Compagnie des Guides sont intimement liées. Quand on parle de guides on fait souvent le raccourci de « Guide de Chamonix » ou « Guide à Chamonix » cela grâce à Frison-Roche, un autre guide emblématique de notre Compagnie, un premier de cordée qu’à une époque tous les enfants ont lu à l’école. Effectivement, grâce à lui, le métier de guide conserve une aura un peu particulière auprès du grand public, ce dont on peut le remercier tous les jours.

Même si vous êtes des professionnels de la montagne il faut toujours se méfier de cet environnement.

Le métier de guide est une composition non pas avec les risques mais une adaptation constante aux conditions et aux aléas qu’on peut rencontrer de façon à être au bon endroit au bon moment avec la bonne personne. Effectivement, même si la course a été préparée la veille en discutant avec nos clients, on va malgré tout le matin essayer d’adapter l’objectif qu’on s’est fixé la veille en fonction des conditions qu’on va rencontrer le jour même. La météo prévoit parfois des conditions de gel qui, le matin, ne sont pas tout à fait les mêmes. On parle beaucoup d’adaptation aux conditions en ce moment, la nécessité d’une adaptation devient plus importante. C’est également une condition de base du métier, on est dans l’adaptation constante au jour le jour. On s’adapte constamment.

Que peut-on trouver à la montagne que l’on ne trouve nulle part ailleurs ? Le vertige des sommets ? Un endroit 1OO% naturel ? Qu’est-ce qui fait son charme ?

Je vais vous citer Nietzsche : « Une heure d'ascension dans les montagnes fait d'un gredin et d'un saint deux créatures à peu près semblables. La fatigue est le plus court chemin vers l'égalité, vers la fraternité. Et durant le sommeil s'ajoute la liberté ». La progression en montagne amène des satisfactions. Chacun vient chercher une chose un peu différente, certains clients viennent chercher l’effort et juste d’être bien fatigué en rentrant le soir, d’autres cherchent un peu d’adrénaline, pour d’autres encore la contemplation. Les motivations de fréquenter la montagne peuvent être assez personnelles pour chacun. C’est la beauté de la chose, on peut trouver en montagne beaucoup de choses différentes.

Collaborez-vous avec le PGHM ?

Il y a une époque où les guides géraient également les secours en montagne. Mais cela est terminé. On collabore car on s’entend très bien avec nos collègues et il y a des guides au PGHM, toutefois depuis l’accident de Vincendon et Henri qui remonte à 1956, il a été créé un corps de secours en montagne. Il y a eu une époque où les secours se sont multipliés au point que les guides n’auraient pas pu exercer une activité professionnelle en même temps que le secours. Mais pendant très longtemps ce sont les guides qui ont assuré les secours en montagne.

Quel est le but de la fête des Guides à Chamonix ?

La fête des Guides fêtera ses cent ans l’année prochaine. La première fête a eu lieu en 1924, à l’initiative des clients des guides qui ont proposé de partager un moment en vallée. Ces clients ont choisi le 15 août car autrefois les guides étaient disons plus croyants. Cette journée va dans la Caisse de Secours et alimente le fonds de solidarité des guides. Ces derniers restent dans la vallée de façon à partager un moment festif. L’objectif de cette fête est toujours celui-ci.

Si vous deviez nous donner une course incontournable à faire à Chamonix ?

Les possibilités sont multiples mais une course qui est facilement accessible et qui peut présenter de la randonnée glaciaire est celle de la traversée de la Vallée Blanche à pied. C’est de la randonnée glaciaire et c’est une première approche du milieu de la haute montagne qui est relativement abordable. Ça peut être un bon moyen de commencer l’alpinisme. Vous pouvez aussi faire une école de glace : aller marcher sur la mer de glace avec les crampons. Ce sont des activités qui sont tout à fait abordables et qui peuvent donner le goût à aller en montagne.