L’œuvre de Justin Weiler s’inscrit dans une tension à la frontière entre un espace intérieur et extérieur, entre contemplation et domestication, utopie et dystopie. Les surfaces trament et scandent un motif devenu pattern. Stores, serres, écrans, rideaux de fer, plantes et bouquets de fleurs obéissent à une frontalité stratifiée, comme autant de métaphores des couches d’encre qu’il balaye, de manière répétitive, sur son support.

Pour sa première exposition personnelle à la Galerie Paris-Beijing, Justin Weiler nous invite à flâner à l’intérieur d’une serre d’exposition aux systèmes imbriqués. La galerie est devenue l’antre de tous les seuils, un espace de déambulation au sein des interstices, où s’agencent des fenêtres opaques, des murs extrudés noirs comme des monolithes ou encore une serre rétrolumineuse. Weiler prolonge les chapitres d’un protocole qu’il s’est lui-même fixé : Operire#5 poursuit son inlassable geste de recouvrement. Couvrir, recouvrir, dissimuler, cacher et, par voie de conséquence, révéler à force de masquer. Lorsque le geste s’entête et s’obstine, passe méticuleusement ou nerveusement, sur la couche qui la précède, il la rehausse en même temps qu’il lui soustrait un fin dépôt.

Opérire est né dans les tréfonds d’un bunker. Face au sentiment d’oppression, sous l’épaisseur et la brutalité du béton, Weiler répond à la frontalité par l’écart. Le rideau de fer, dont l’expression fut popularisée par Churchill, est devenu pour Weiler le prétexte à un jeu de matière et de lumière, dont les effets de façades se dilatent dans la profondeur d’un noir rétinien. La surface paraît percée par un halo de lumière qui donne à ces stries accablantes une vibration intense. La froideur du métal et ses résonnances itératives ouvrent peu à peu l’espace et libère la grille de sa lecture unilatérale.

Dans la série Screen, le plasticien substitue des plaques de verre au papier Arches. Ici le support participe à sa mise en scène et invite les murs de la galerie à révéler les réserves de blancs tels un photogramme ou un négatif photo. Le motif se dilate et chaque passage de noir ou de blanc de Meudon matérialise une épaisseur qui s’étire en jouant de la transparence et de l’opacité. C’est à nouveau ce désir d’étirement, plastique et temporel, qui est à l’œuvre dans le monumental Bouquet pour Annie. Réalisé sur près de trois années, le dessin se présente sous la forme d’un quadrillage composé à l’origine de 81 cadres derrière lesquels pousse et dépérit un bouquet de fleurs. Vanité contemporaine, l’œuvre agence une sorte de retable qui déplie l’image et sature l’espace dans un jeu formel entre la ligne et l’organique. Les plantes grasses ou tropicales, dont Ikea a standardisé nos salons, prennent également place derrière un encadrement de vitrines, tels des animaux enfermés dans leur cage. Les serres sont des couveuses qui accueillent des microcosmes, mais elles sont aussi l’apanage des colonisateurs qui exhibent les fruits de leurs conquêtes, comme le fit le Palais de Cristal du Retiro à l’occasion de l’exposition sur les Philippines en 1887. Conçu par l’architecte Ricardo Velásquez Bosco, le Palais présentait l’« exotisme » de la vie quotidienne de ses colonies espagnoles, tandis que le jardin du Retiro reconstituait un village indigène. En résidence à la Casa Velásquez, Weiler réalise Madrid, une composition quasi-carcérale exposant des Aloe vera. Au fond de la galerie, la serre Ad Retro enduite dans un geste frénétique et libératoire de blanc de Meudon apparaît dès lors comme une tentative d’expiation. Généralement utilisée pour occulter les vitrines ou comme produit d’entretien, la pâte opère un recouvrement qui invisibilise ce qui d’ordinaire est exhibé. L’architecture rétroéclairée inverse les contrastes : le noir provient du blanc, et l’on contemple son occultation.

La vitrine, avec ses jeux de reflets qui nous intègrent à l’objet désiré, matérialise un espace médian dont la légèreté et la transparence sont enfin transformées en barrière opaque dans les sculptures Mapp, réalisées en Mortier Adhésif pour Placoplâtre. Face à la précision du geste que l’on retrouve dans ses vanités s’élèvent des monolithes mystérieux, censés peut-être influencer l’évolution de l’espèce humaine. Plus mélancolique que moralisatrice, plus poétique que politique, son œuvre monochrome suspend le temps qui passe. Par-delà la grille s’impose une profondeur qui ouvre l’espace et rend visible ce qui était caché.

Marion Zilio (curator and art critic)