Galleria Continua a l’honneur de présenter la première exposition en Chine consacrée au travail de l’artiste franco-marocaine Leila Alaoui. Cette exposition fait écho, par son titre, à la chanson algérienne du même nom de Dahmane El Harrachi :Ya Rayah, « Ô, toi qui pars ». Chant sur l’exil, Ya Rayah est un air écrit dans les années 1970 qui connaîtra une grande popularité, encore importante de nos jours. Le mal du pays et la souffrance de l’exil imprègnent le texte dont la mélodie distille une mélancolie dépassant la barrière de la langue.

De No Pasara, son premier travail en tant que photographe professionnelle auprès d’une jeunesse marocaine en quête d’une Europe toute proche et pourtant si lointaine, jusqu’au projet inachevé de l’Île du Diable avec les travailleurs immigrés des anciennes usines Renault de Boulogne-Billancourt, à la rencontre des réfugiés syriens au Liban pour Natreen ou des migrants d’Afrique subsaharienne pour Crossings, Leila Alaoui avait orienté son objectif vers des exilés, laissés-pour-compte disparaissant derrière des poncifs et des statistiques, mettant en lumière des hommes, des femmes, des enfants – leurs visages et leurs regards racontant le déracinement, l’attente, les regrets face à une dure réalité mais aussi l’espoir malgré tout. Les rencontres de Leila Alaoui avec toutes ces personnes se dévoilent avec humilité dans un travail sensible qu’elle définissait avant tout comme social.

L’exposition s’ouvre avec la série Les Marocains, installés en très grand format – à l’échelle de l’espace. Travail au long court, ce projet inspiré des Americans de Robert Frank a conduit Leila Alaoui à sillonner le Maroc équipée d’un studio mobile, tissant au fil des rencontres un portrait protéiforme d’un pays au travers de ses habitants. Arabes et Berbères, femmes et hommes, adultes et enfants se côtoient dans une mosaïque de traditions, de cultures et d’esthétiques. Face à une mondialisation galopante, nombreuses sont les coutumes disparaissant peu à peu et dont l’ensemble de ces portraits dessine les contours d’une archive visuelle. Mais au-delà du simple travail documentaire, Les Marocains était aussi pour la jeune photographe une façon d’aller à la rencontre de son propre héritage, de confronter à la distanciation que suppose l’appareil photo une forme d’intimité grâce à ses racines marocaines mais également en liant connaissance avec les personnes croisées au gré du voyage. Une manière, en définitive, de revendiquer une esthétique autonome, affranchie de tout folklore orientaliste et mettant en lumière la dignité des individus et d’un pays.

No Pasara, premier projet photographique de Leila Alaoui, agit comme une sorte de manifeste de son engagement. Cette série montre les multiples visages d’une jeunesse marocaine cherchant un passage vers l’Europe, des candidats à un exil incertain, déracinés au sein de leur propre pays. Portraitiste humble, Leila Alaoui a su les observer, les écouter, ne prenant son appareil qu’après de longs moments de rencontres et d’échanges, souhaitant cerner au mieux la vie, les rêves et mirages de ceux qu’on appelle Harragas (les brûleurs), ainsi que cette nécessité qu’ils ressentent de quitter leur terre natale.

Portraits de migrants d’Afrique subsaharienne, Crossings est aussi l’expression de rencontres. D’abord travail vidéo puis photographique, la série cherche à donner la parole à ces femmes et ces hommes qui ont tout laissé derrière eux pour partir en quête d’une vie meilleure de l’autre côté de la Méditerranée et se sont heurtés à un chemin parsemé d’embûches et de dangers, où certains y ont laissé la vie. Ceux qui ont tenu jusqu’au Maroc, échouant presque aux portes de l’Europe, portent les cicatrices visibles ou invisibles de ce voyage inachevé. L’intensité de leurs regards et de leur histoire forme une continuité avec les photographies de No Pasara et rejoint les portraits de Natreen, série réalisée au Liban en 2013 auprès de réfugiés syriens fuyant le chaos de la guerre. Femmes, hommes et enfant se retrouvent dans un autre pays que le leur, dépossedés de leur terre et de leurs biens, espérant un avenir meilleur mais figés dans une situation d’attente semblant sans issue. Maroc, Syrie, Afrique centrale : autres lieux, autres raisons de fuir. Partout, un même déracinement, une même espérance – une même réalité sur laquelle viennent se fracasser les illusions. Avec détermination, Leila Alaoui venait braquer son regard sur ce réel, se faisant l’écho de ces voix lointaines tout en étant capable de retranscrire avec finesse et humilité la beauté de personnes n’étant plus tout à fait les anonymes des actualités.

Le projet L’Île du Diable, présenté ici en vidéo, est un travail que Leila Alaoui avait commencé à Boulogne-Billancourt, près de Paris, en allant à la rencontre des anciens ouvriers immigrés de l’usine Renault qui se trouvait sur l’île Seguin – surnommée « l’île du diable » par les travailleurs. Il s’agissait de l’une des plus grandes usines du pays, véritable fleuron industriel en service des années 1930 jusqu’en 1992, aujourd’hui entièrement démoli et qui a employé une importante main d’œuvre étrangère venant notamment d’Afrique et d’Asie. Après avoir été dans ses premiers projets à la rencontre de personnes candidates à la migration, racontant leurs tentatives de départ, leurs attentes, les obstacles sur leur chemin, Leila Alaoui a cette fois tourné son regard vers ceux qui sont arrivés. Ouvriers déracinés travaillant dans des conditions difficiles, ils furent acteurs des grandes luttes sociales des années 1960 pour défendre leurs droits et leur dignité. Le projet de Leila Alaoui, inachevé, visait à leur donner la parole pour raconter la mémoire sociale des travailleurs immigrés. La partie vidéo présentée ici montre leurs visages, en tant que portrait ou en tant que témoins revenant sur les lieux de l’usine. Cette vidéo se voulait être la première partie d’un projet plus vaste, dans lequel la parole des générations suivantes d’ouvriers immigrés aurait été enregistrée pour une mise en perspective globale.

Leila Alaoui, artiste, photographe et vidéaste franco-marocaine, est née en 1982. Elle a étudié la photographie à l’université de la ville de New-York. Son travail explore la construction d’identité, les diversités culturelles et la migration dans l’espace méditerranéen. Elle utilise la photographie et l’art vidéo pour exprimer des réalités sociales à travers un langage visuel qui se situe aux limites du documentaire et des arts plastiques. Son travail a été exposé internationalement depuis 2009, entre autres à Paris à l’Institut du Monde Arabe et à la Maison Européenne de la Photographie, en Suède au Konsthall de Malmö ou au palais national de la Citadelle de Cascais au Portugal. L’engagement humanitaire de Leila Alaoui inclut également des mandats photographiques pour des ONG reconnues comme le Danish Refugee Council, Search for Common Ground et le HCR En janvier 2016, alors qu’elle était mandatée par Amnesty International pour réaliser un travail sur les droits des femmes au Burkina Faso, Leila Alaoui a été victime des attaques terroristes de Ouagadougou. Elle a succombé à ses blessures le 18 janvier 2016. La Fondation Leila Alaoui a été créée pour préserver son travail, défendre ses valeurs, inspirer et soutenir l’engagement artistique humaniste.