Guglielmo Castelli, Ugo Giletta, Juul Kraijer, Barthelemy Toguo, Sandra Vasquez de la Horra & Tinus Vermeersch.

Le travail des artistes invités à exposer dans "Uncertainties/ Improbabilities" est particulièrement authentique et remarquable, parce que ces artistes veulent radicalement libérer l’imagination et cherchent à situer leurs récits visuels, qui représentent à chaque fois des réalités improbables et obscures, dans un contexte de références qui porte très loin. La présence sensuelle et physique de l’œuvre visuelle est ici d’une intensité excessive et provocatrice, qui fonctionne comme une force subversive, libératrice, anarchique et créatrice. Elle anéantit en effet les séductions apparentes du simulacre vide, privé de sens, superficiel et manipulé qu’est le monde. Elle prive de crédibilité le spectacle banal offert par ce dernier, et intensifie au contraire le questionnement vivace qui émane des références et des sources narratives auxquelles l’œuvre renvoie. Certains de ces artistes se réfèrent F directement ou indirectement F à des images mythiques, historiques et conventionnelles préexistantes, à des récits archétypiques, cultuels, symboliques ou métaphoriques.

Les dessins de Juul Kraijer évoquent certains scénarios dramatiques et intrigants de la mythologie grecque et romaine, et offrent une réinterprétation mélancolique et intellectuelle du maniérisme ; souvent aussi, ils troublent et indisposent en montrant comment, exposées à la lumière psychanalytique, les métaphores culturelles sophistiquées retrouvent leur pertinence anthropologique primaire, originale et vitale.

Tinus Vermeersch (artiste de la galerie) opère dans le contexte d’une période spécifique de l’histoire de l’art flamand : celle du gothique tardif, de la Renaissance et du baroque précoce. Montrant la transformation incessante, fantastique et déroutante de motifs en apparence banals puisés dans la nature et dans la vie quotidienne, son œuvre produit des métaphores sensuelles et subversives de l’incertain et de l’improbable. Les dessins et tableaux subtils de cet artiste révèlent un univers caché de réalités menues, à peine perceptibles, insoupçonnées, qui ouvrent des perspectives redoutables et profondément bouleversantes sur une obscurité sans limites, dans laquelle des processus et des forces non rationnels, inexplicables et insolubles façonnent notre monde. L’horreur de l’inconnu, le choc de l’obscur ne se produisent cependant qu’au ralenti, indirectement et en sourdine : la véritable confrontation avec le pouvoir choquant de l’incertain s’empare de nos esprits avec lenteur, implacablement, inéluctablement.

D’une manière tout à fait différente, l'œuvre d'Ugo Giletta reflète certaines références au moyen âge et au modernisme précoce, en particulier là où il s’approche d’ une interprétation nouvelle F et intrigante, et profondément déconcertante F du sublime. Les traits singuliers de ses figures n’appartiennent à personne en particulier ; les singularités reçoivent plutôt une entité visuelle, une raison d’être, une présence visuelle suggestive, sans être des représentations d’individus ou des portraits de personnes concrètes. Ugo Giletta montre qu’il est possible de créer des êtres qui reçoivent une identité visuelle sans être pour autant des personnes dotées de traits particuliers qui leur appartiennent en propre : ils se présentent comme la cristallisation d'éléments définis se tenant sur le bord d'un néant indéfini, effrayant et déprimant.

L'univers excessif et très sensuel de Sandra Vasquez de la Horra reflète tout un amalgame d’éléments puisés dans l’imaginaire mythique et dans les cultures religieuses de l’Amérique latine, et qui vont du catholicisme au vaudou. Diverses pratiques et composants qui relèvent de la magie noire se trouvent mélangés ici avec des thèmes psychanalytiques et des scènes morbides, créant ainsi un état de permanente obscurité qui est extrêmement intense, suggestif et dérangeant, et qui évoque le monde du théâtre. Violence et comportement sexuel explicite, extrémisme religieux et mystère du temps et de la mort, curiosité à l’égard du propre moi et plongée dans l’irrationnel se fondent chez cette artiste dans une poésie visuelle pittoresque.

Les créations robustes de Barthelemy Toguo donnent corps à des attitudes culturelles archaïques et à de vieux sentiments de peur, d'insécurité et de détresse qui se trouvent profondément enracinés dans chacun de nous. En même temps, cependant, elles célèbrent, de façon triomphale et exubérante, la vie et le bonheur, le plaisir sensuel et la fertilité, dans une forme quelque peu extatique d'unification mythique entre l'humain et l'animal, entre la nature et la culture, ou entre l'obscurité et la lumière. La transformation permanente des corps humains en animaux, des plantes en corps humains, des objets en corps organiques et vivants, manifeste une interpénétration élémentaire de tous les êtres et choses existants, qui met au défi les définitions exactes et les formes claires : voici le triomphe de l'Incertain vivant, anarchique et fertile.

Dans l’œuvre de Guglielmo Castelli, les frontières entre les mondes intérieur et extérieur s’estompent sous l’effet d’une fluidité irrésistible, véhémente et agaçante. Il y a une interpénétration inquiétante entre des corps imaginaires et des corps matériels, entre des réalités spirituelles et des espaces physiques, entre des formes organiques, vives, sensuelles et des formes inorganiques, solides, rigides, parfois même implacablement dures. Le résultat est un scénario émotionnellement très intense, voire passionné.

Les surfaces sont douces, veloutées, lisses, parfois presque crémeuses ; les formes, irrégulières et indéfinies, tiennent le milieu entre, d’une part, des corps humains ou animaux, et de l’autre, des objets, des plantes ou des motifs architecturaux (murs, portes, fenêtres, meubles). Tout cela évoque un univers étrange, obscur et inconnu de choses incertaines et improbables, dans lequel on a l’impression d’être invité, voire impliqué, par la vivacité sensuelle d'une intimité provocatrice, irrésistible et psychologiquement intense. Comment ne pas se sentir absorbé par l'aura suggestive, poétiquement efficace et hautement sensuelle de cet univers ? En même temps, pourtant, on éprouve le sentiment de quelque chose de sinistre et de redoutablement maladif, qui suscite la résistance : on finit par se demander quelle est la raison d’être de tout ce scénario.

Lorand Hegyi est né à Budapest où il a étudié l'histoire, l'histoire de l'art et l'esthétique. Au cours des années 1980, il a travaillé comme commissaire d'expositions d'art contemporain tout en écrivant des textes historiques et théoriques sur le modernisme et le postFmodernisme.

Invité en Autriche peu après la chute du mur de Berlin, il est devenu directeur du musée Ludwig de Vienne, fonction qu’il a exercée de 1990 à 2001, et qui lui a permis de créer une importante collection d'art d'Europe centrale et orientale. En 1999, il est commissaire de l'exposition 50 ans d'art en Europe centrale 194951999 (Vienne, Budapest, Southampton). En 2001, il ouvre le nouveau musée d'art contemporain MUMOK à Vienne. Deux ans plus tard, il est directeur artistique de la Biennale de Valence et commissaire de l'exposition Solares. De 2002 à 2006, il a été directeur artistique du PAN (Palazzo delle Arti Napoli) à Naples, et de 2003 à 2016, directeur du Musée d'Art Moderne de SaintF Etienne. Il a été décoré de la Légion d'Honneur par la France en 2009.

En 2017, Lorand Gegyi a été nommé directeur artistique du Parkview Museum à Singapour, où il a créé une importante collection d'art contemporain italien. Dans cette même année, il a été commissaire de l’exposition Anish Kapoor 5 My Red Homeland (SaintFEtienne) et de l’exposition The Artist's Voice (Singapour).