Autrement dit, nouvelle exposition solo de Patrick Bérubé à la galerie Art Mûr, nous propose une dérive au foisonnement baroque. L’artiste nous plonge dans une installation rejouant les codes d’un espace de travail all-included inspiré librement de la compagnie ACME, société fictive apparue dans l’univers Looney Tunes. Du grec, acmé signifie l’apogée, le point critique d’un propos ou d’une situation et désigne, dans la tragédie, le paroxysme du mal dont un personnage est atteint. Se tenant sur une fine ligne séparant le comique du tragique, l’installation de Bérubé est dense; la narration, faite de multiples couches. Il est question, tout à la fois, de désir de pouvoir et d’impuissance, du temps dans ses répétitions et ses immobilités.

Dans la salle d’attente est diffusé en boucle un extrait du film Lucy, de Luc Besson, où l’actrice répète inlassablement la même réplique : «Le temps est la seule unité de mesure. Il nous fournit la preuve de l’existence de la matière. Sans le temps, plus rien n’existe.1» L’artiste nous propose une clé de lecture pour décoder l’exposition. Le monde est-il un grand théâtre où nous prenons les apparences pour réalité?

Comme dans tout espace de travail tout inclus, l’employé-visiteur est plongé dans un univers dédié à la productivité. Sur le miroir de la salle de sport, est gravé le palindrome « In girum imus nocte et consumimur igni » (Nous tournons en rond dans la nuit et nous sommes dévorés par le feu). La phrase de Virgile, reprise par Debord dans son film homonyme2, évoque l’absurde aliénation capitaliste où l’humain est fasciné, captif et esclave d’un système qu’il a lui-même bâtit. Au sol, des Stan Smith, mythiques chaussures de sport avec système de protection du tendon d’Achille, font office de memento mori. Elles rappellent le récit d’Achille, vaincu malgré son désir d’invincibilité. Dans cette pseudo-salle de sport, s’expose tant le désir narcissique de performance (physique, sexuelle) que la vulnérabilité.

Dans l’espace bureau, de grandes impressions à première vue éclectiques révèlent les mêmes motifs se déclinant en une suite de variations : des plans du château de Chambord, réputé source d’inspiration pour le château Walt Disney, aux photographies aériennes d’échangeurs routiers répétées telle une tapisserie; de la touche «commande» jusqu’aux deux drones (paradoxalement instruments de surveillance et de jeu) encadrés. Plus loin, un rideau automatisé s’ouvre pour laisser voir l’image d’une mutante à trois seins, faisant écho à une gravure de la déesse Isis – déesse de la fécondité, mais aussi de la mort. La figure devient ici presque allégorique, évoquant un environnement en mutation sous l’action de l’industrie.

Autrement dit… c’est la répétition qui permet des glissements de sens, un point de vue divergent qui ouvre des espaces différentiels. Une faille, le faux, la farce.