L’océan, vaste territoire longtemps perçu comme un espace d’aventure et de liberté, est désormais le réceptacle d’une économie mondialisée, surexploitée et polluée. Pour sa première exposition personnelle à la Galerie GP & N Vallois, Duke Riley nous entraîne dans son univers maritime, utilisant l’océan comme un outil de transmission d’une mythologie moderne et militante, où se mêlent légendes, tatouage de marins, sirènes maltraitées et environnement abusé.

Dans Baigné de vos langueurs, l’artiste américain fait dialoguer le folklore marin et les urgences écologiques. Chaque œuvre devient un fragment de mythe contemporain, où la mer, à la fois nourricière et menacée, sert de fil conducteur.

Sa série de mosaïques réalisées à partir de matériaux récupérés dans l’océan - fragments de plastique, mégots, briquets, coquillages - évoque d’abord des compositions artisanales, dont la symétrie et les couleurs rappellent les broderies latino-américaines. Mais à mesure que l’œil s’approche, la beauté du motif se fissure : les matériaux polluants remplacent les perles et les coquillages, comme une fable visuelle sur la transformation des océans. Dans des œuvres telles que Order from prescription history ou Amoco Cadiz, Riley expose cette dualité: l’esthétique du marin et la laideur de ce que l’homme y déverse, dépictant une vérité démoralisante.

Tatoueur de formation, Duke Riley continue de “marquer” les surfaces - non plus des corps, mais des objets triviaux : bouteilles, flacons, cassettes, bidons artefacts hybrides flottant entre deux eaux, réunis dans la série The Poly S. Tyrene Memorial Maritime Museum. Reprenant les emblèmes du tatouage traditionnel : ancres, sirènes, bateaux, cœurs percés, il se réapprooprie ces symboles pour servir de message politique et poétique. Comme si chaque objet, arraché à la mer, portait à nouveau une histoire, à la manière des scrimshaws, ces os de cétacés gravés par les marins des baleiniers au XIXème siècle.

L’artiste étend cette pratique sur papier, travaillant ses compositions comme un tatoueur prépare son motif avant de le graver dans la peau. Son passé, indissociable de son engagement, infuse l’ensemble de son œuvre.

Avec humour et gravité, Duke Riley compose une mythologie écologique et populaire, nourrie de culture pop autant que de croyances maritimes. On croise dans son imaginaire les fantômes de Popeye, mais aussi les échos d’un monde englouti sous ses propres déchets. Ses œuvres, à la fois bricolées et précieuses, redonnent forme à un folklore perdu - celui d’une humanité autrefois en dialogue avec la mer, devant aujourd’hui réparer ses naufrages.

Duke Riley a présenté des expositions individuelles au Brooklyn Museum, au Queens Museum of Art, au MOCA Cleveland, à la Biennale de La Havane, à la Biennale de Sydney, à la Biennale de Mercosul, à Philigrafika, et plus récemment, a bénéficié d’une grande rétrospective au Virginia Museum of Contemporary Art. On retrouve ses œuvres dans les collections permanentes de la National Gallery of Art, du Whitney Museum, du Brooklyn Museum et du Museum of Fine Arts Boston.

Riley partage l’année entre son studio dans le Brooklyn Navy Yard où il élève encore des pigeons et celui sur son bateau à Rhode Island où il collecte le plastique océanique.

(Texte de Hugo Poulaillon)