Almine Rech Paris, Turenne (Front Space) a le plaisir de présenter Cycles, quatrième exposition personnelle de Fabien Adèle avec la galerie, visible du 4 au 27 septembre 2025.
La conception générale de la sérialité et de la répétition est qu’elles appartiennent au monde des usines et de l’industrie ; qu’elles sont ennuyeuses et banales. Nous voulons tous être différents ; et on nous apprend à rechercher des expériences uniques. Pourtant, la sérialité et la répétition sont au cœur de nombreuses œuvres profondément personnelles et singulières qui composent la pratique artistique de Fabien Adèle. « C’était, par exemple, dessiner une fleur et la répéter jusqu’à ce qu’elle devienne autre chose, quelque chose qui bouge », explique-t-il à propos des origines de certaines de ses dernières séries. Bien que les dessins précèdent souvent les peintures et que les compositions évoluent, la composition finale est autant le produit de l’imagination de l’artiste (il ne travaille ni avec des modèles, ni des collages, ni des sources extérieures) que de ce que les matériaux lui suggèrent. Dans une certaine mesure, chaque œuvre se façonne au fur et à mesure de sa création, avec une liberté qui dément sa composition apparemment rigide.
Ainsi, par exemple, dans l’un de ses nouveaux tableaux, on voit trois rangées de fleurs — deux qui rappellent des marguerites, une des tulipes — surgissant entre des brins d’herbe à intervalles réguliers. Trop réguliers pour être naturels ; pas assez précis pour être industriels. Chaque représentation d’un type de fleur est la même, mais un peu différente. Différente par la teinte, par l’angle, et par un passage central qui semble théâtralement éclairé. Comme pour nous rappeler qu’il n’y a rien de naturel dans cette scène, qu’elle appartient autant à la scène ou à l’écran qu’à la nature, aussi « naturelles » que puissent paraître ces flores dorées. Une paire de ciseaux, lames entrouvertes, semble avoir dansé dans la rangée inférieure de fleurs-marguerites, ses lames imitant leurs tiges, ses anneaux leurs têtes. À première vue, cela pourrait sembler être une autre partie d’un tout régulier, plutôt qu’une forme surréaliste inquiétante. Le tableau est innocemment intitulé : Dans le jardin (2025). Ce qui le rend d’autant plus sinistre. Le projecteur devient peut-être un faisceau de recherche, en quête… de quoi, au juste ? Un psychanalyste s’en donnerait à cœur joie. Et l’artiste lui-même reconnaît que son travail est le fruit à la fois de pensées conscientes et inconscientes.
Et pourtant, le travail d’Adèle est aussi indéniablement sensuel ; fait de lavis de couleurs, de lumières brillantes et de sujets d’une chair fantastique. Le produit d’une manipulation habile de la peinture à l’huile, de la craie et du sable. Dans une œuvre apparentée, Fallen peach / Pêche tombée de l’arbre (2024–25), un motif floral similaire est complété par une rangée soigneusement disposée de pêches énormes, à moitié enfouies dans l’herbe mais évoquant toutes les connotations sensuelles et sexuelles que nous associons à ce fruit.
On pense aux décors rococo, dans lesquels des formes pastel et courbes dissimulent un ordre formel. Puis l’on remarque une rangée de formes humaines émergeant de la lisière des arbres, littéralement en train d’émerger de la peinture — plus des couleurs rouge-brun prenant forme que des formes complètement définies. « J’aime commencer avec quelque chose d’abstrait, puis devenir figuratif à un moment donné, avec les couleurs et les ombres », dit Adèle en décrivant son processus. Mais il n’est pas nécessaire que l’artiste le dise : tout cela est visible dans ses œuvres.
D’une certaine manière, nous, spectateurs, accomplissons les mêmes gestes qu’Adèle, bien que de manière différente. Nous lisons sa palette pour en extraire une saison ou une humeur – fin d’été, début d’automne peut-être, tons chauds et terreux, rouges et jaunes brûlants, quelques bleus froids. Un moment de fécondité et de changement. Un moment où les gens, comme ceux du plus grand tableau ici, Still here / Toujours ici (2024–25), pourraient être enclins à porter moins de vêtements en se prélassant dans le paysage. Leurs corps et les champs, grâce aux coups de pinceau de l’artiste, semblent traverser à la fois la figure et le fond, devenant inséparables, unis. Ce que l’on peut alors lire comme une métaphore de la relation entre ces deux figures dans l’œuvre, l’une adossée à un arbre, l’autre debout. Peut-être des amants. Et, juste comme ça, on commence à transformer deux figures dans un paysage en un récit, une histoire.
Avec la biographie d’Adèle en tête, on pourrait pousser l’analyse encore plus loin : un jeune homme gay, ayant grandi dans le sud rural de la France, rêvant de s’échapper vers la grande ville (Paris), là où une vie vécue dans l’imaginaire pourrait devenir réalité. Les œuvres actuelles sont nées d’une résidence à Brescia, en Italie, où l’artiste était entouré de fresques et de peintures réalisées en lavis, rappelant les palettes de couleurs de son enfance dans le sud de la France. Une forme de reconnexion avec les lieux de son adolescence et ses rêves, une quête d’appartenance, qui a déclenché chez l’artiste les mêmes associations que ces détails biographiques peuvent éveiller chez nous dans notre lecture de son œuvre. Mais il n’est pas nécessaire d’aller aussi loin. Ce qui importe le plus, c’est la manière dont les peintures d’Adèle transforment la matière abstraite des rêves en une scène où les gens (non seulement ceux représentés, mais aussi les spectateurs) et les objets semblent s’intégrer — la plupart du temps.
D’une certaine façon, toute œuvre d’art crée une communauté imaginaire, un lieu d’appartenance. Un groupe de personnes – l’artiste ; son public – qui ne se connaissent pas mais supposent, en regardant l’œuvre, qu’ils pensent la même chose. Même s’il n’y a aucune preuve de cela. « C’est juste une fenêtre pour que les gens puissent imaginer ce qu’ils veulent imaginer. » Et ainsi, nous suivons les pas de l’artiste. Faisant exactement ce qu’il a fait.
(Texte de Rappolt, rédacteur en chef d’ArtReview)