Un lit, ou une lumière qui glisse à travers un store, ou encore un jardin que l’on aurait oublié de clôturer.

Lardy et Faulhaber apparaissent, pas tout à fait ensemble, pas vraiment séparées non plus. Dans l’espace d’exposition, leurs œuvres se frôlent juste assez pour que leurs questions résonnent l’une avec l’autre, sans jamais chercher à s’accorder. Leurs démarches, bien que distinctes, peignent toutes deux depuis la périphérie. Depuis les marges de ce que l’on tente habituellement de nommer. Elles ne posent pas d’énoncés. Elles suggèrent, hésitent, tournent autour de ce qui échappe à la clarté.

Dans sa série de collages, Gritli Faulhaber élabore un langage pictural qui semble retenir son souffle. À première vue, ses œuvres sont silencieuses, malgré leur grande échelle, elles paraissent se dissimuler, et se présentent comme éclectiques. Mais ce silence est chargé. Les surfaces s’interrompent à mi-phrase. Les corps sont absents, ou presque. Et pourtant, rien n’est vide : tout parle, le poids d’un tissu, l’angle d’une porte laissée entrouverte, des ombres qui persistent sans point d’ancrage.

Ses images sont traversées de références : à la musique, à la mode, aux plis de l’histoire de l’art. Une chorégraphie se cache derrière cette douceur. Le spectateur est d’abord happé par l’atmosphère, puis amené à déplier lentement la composition, comme on traduirait une langue que l’on n’a pas parlée depuis longtemps, mais que l’on a autrefois rêvée.

Augusta Lardy habite elle aussi cet espace entre présence et retrait, mais depuis un autre versant. Ses peintures commencent bien avant que le pinceau ne touche la toile. Le processus est lent, intérieur, et puis soudain, le geste survient. Vif, immédiat. Comme si quelque chose avait enfin rassemblé assez de silence pour jaillir.

Son œuvre entre en dialogue discret avec le paysage, mais un paysage déjà en train de se dissoudre. Ses gestes sont poreux, végétaux. Si Faulhaber encadre l’absence, Lardy la laisse croître. Son travail parle moins en signes qu’en strates : sédiments de mémoire, d’affects, de traces organiques. Elle ne cite pas ses références ; elles s’infiltrent, comme enracinées sous la surface visible.

Toutes deux explorent une manière de construire du sens sans jamais l’enfermer. Faulhaber navigue entre l’information et son retrait. Lardy entre la représentation et son effacement. Elles abordent la même question par des extrémités opposées : comment créer un espace qui demeure ouvert, qui ne se referme pas ? Comment laisser la surface parler, sans chercher à en maîtriser la voix ?

Ce qu’elles partagent, ce n’est pas un sujet, mais une manière d’en tourner autour. De maintenir la représentation dans un état poreux, instable. Dans leurs œuvres, le sujet n’est pas absent, mais toujours en mouvement, jamais tout à fait saisi, comme un portrait abandonné. Il vacille dans un pli, une ombre, un geste retenu juste ce qu’il faut.

Peut-être est-ce cela, au fond :
ne pas figer l’image,
mais la laisser respirer.
Faire place à ce qui échappe au cadre,
comme quelque chose qui pousse de travers,
dans un jardin que l’on aurait oublié de fermer.

(Texte de Leila Niederberger)