La Galerie Nathalie Obadia de Bruxelles est heureuse de présenter la quatrième exposition personnelle de Sophie Kuijken, après ses expositions en 2017 à Paris, et en 2016 et 2014 à Bruxelles.

Pendant plus de vingt ans, Sophie Kuijken a peint dans l’intimité de son atelier sans jamais révéler son travail, qu’elle finira même par entièrement détruire au terme de nombreuses années de recherches. C’est grâce à Joost Declercq, ancien directeur du Musée Dhondt-Dhaenens (Belgique), que Sophie Kuijken a accepté d’exposer ses œuvres pour la première fois en 2011. Ces années de solitude lui ont permis de développer une œuvre atypique et puissante, entièrement centrée autour de l’art du portrait.

Cette exposition réunit pour la première fois ses deux médiums de prédilection que sont la peinture et le dessin. Si l’artiste belge est surtout connue pour ses peintures, le dessin est une pratique qu’elle n’a cessé de développer tout au long de sa carrière et qui reste pour elle un véritable terrain d’expérimentations picturales.

Les huit peintures présentées constituent de réelles démonstrations de technicité. À la manière des grands primitifs flamands, Sophie Kuijken travaille ses corps et ses fonds par une accumulation patiente de fines couches de peinture acrylique, de peinture à l’huile et de glacis, qu’elle superpose jusqu’à obtenir une surface lisse et profonde. Ses tableaux absorbent la lumière qui anime cette matière et en révèle toute la densité.

Les dessins, quant à eux, sont beaucoup plus éthérés. Sur d’épais supports en plâtre, qu’elle réalise elle-même, Sophie Kuijken dessine les courbes légères de ses portraits à la pointe d’argent ou de cuivre qu’elle rehausse de quelques touches de crayon pour faire ressortir un détail dans la composition. Il n’y a que pour quelques-uns, comme t-R.O.X., qu’elle crée des fonds plus sombres par l’application d'une mixture à base de craie, de pigment et de fusain qu’elle prépare dans son atelier. Ce long procédé ne tolère pas les repentirs : le geste de Sophie Kuijken est maîtrisé et définitif.

Si la technique diffère entre peintures et dessins, le sujet renforce le lien entre ces deux pratiques. Les portraits de Sophie Kuijken sont composés de multiples images collectées par l’artiste au fil de ses recherches sur Internet, qu'elle stocke parfois pendant plusieurs années avant de les utiliser. Sa méthodologie est fascinante. Elle a élaboré une véritable science de l’image en sélectionnant un grand nombre de photographies pour leurs propriétés formelles. Faisant abstraction de toute symbolique et de tout contexte historique, elle s’en tient à observer la récurrence de certains motifs ou accessoires, de certaines postures ou tenues.

De ces associations incongrues naissent des personnages presque mystiques, comme en atteste le très élégant portrait grandeur nature d'une jeune femme en robe bleu clair Z.W.K.H. En le regardant de près, on remarque une fine bride à son pied droit, inspirée de la sandale d'une statue antique. Dans un autre tableau, C.M.H., le visage du personnage est enserré de part et d’autre de deux langues bleues ornées d'étoiles blanches, comme s'il s'agissait des restes d'un casque militaire. Ce symbole guerrier, très présent dans la composition, entre en contradiction avec la position agenouillée et humble du sujet.

Sophie Kuijken prend également un grand soin à représenter les mains et les visages, qui sont particulièrement travaillés et lumineux. Le poète français Paul Valéry (1871-1945) disait : « Ce qu’il y a de plus profond en l’homme c’est la peau ». Dans les œuvres de Sophie Kuijken c’est bien par la peau, cette fine membrane intermédiaire entre soi et le monde, que s’expriment toute la tension et la complexité qui meuvent ses personnages. Ce sentiment est renforcé par le traitement que l’artiste fait de ses fonds : sombres et sans détails, ils semblent n’être là que pour soutenir les corps. Ils les privent de tout ancrage temporel ou spatial, comme pour mieux souligner leur caractère irréel.

C’est ainsi qu’en face d’une œuvre de Sophie Kuijken il nous est impossible de déterminer précisément à quelle époque elle appartient, ni même si le portrait est celui d’un homme ou d’une femme. Elle semble d’ailleurs s’amuser de cette ambiguïté et cultive à loisir le trouble chez son spectateur, en jouant notamment sur la gémellité de ses personnages, comme dans son œuvre V.L.K.L..

Comme la créature du roman Frankenstein ou le Prométhée moderne de la romancière anglaise Mary Schelley*, les portraits de Sophie Kuijken sont à la fois indéniablement humains et étrangement autres ; Êtres anonymes, fabriqués de toute pièce, ils nous confrontent à notre propre humanité.

En janvier 2020, plusieurs tableaux de Sophie Kuijken seront également exposés dans la cathédrale Saint-Bavon à Gand qui compte parmi les plus belles cathédrales d’Europe et abrite le fameux retable des frères Van Eyck L'Adoration de l'Agneau mystique (1432). Les œuvres de Sophie Kuijken seront présentées aux côtés du retable, de retour d’une longue restauration, instaurant ainsi un dialogue passionnant entre deux époques.