« Je souhaitais créer une peinture forte et agressive qui puisse concurrencer le meilleur de l’abstraction ». Ainsi s’exprime, Philip Pearlstein, un des grands maîtres de la peinture figurative américaine, qui a choisi Paris pour souffler ses 95 bougies, le 24 mai 2019.

A cette occasion, la Galerie Templon propose un parcours rétrospectif de cet artiste profondément original, qui, même s’il partagea dans sa jeunesse les mêmes bancs d’école qu’Andy Warhol, s’engagea dans une direction tout autre : un retour à la peinture d’atelier, uniquement à partir de modèles vivants, nus, mis en scène dans des compositions à la fois complexes et incongrues.

A travers une quinzaine de toiles, de 1969 à 2018, se dessine un travail intègre et toujours novateur malgré l’apparent dépouillement des sujets. Dès les années soixante, Philip Pearlstein définit un protocole radical qu’il suit encore aujourd’hui, quotidiennement. Il élabore des scénographies décalées dans lesquelles des modèles, hommes ou femmes, masqués ou dévêtus, posent de longues heures, pendant des semaines. Chineur compulsif et collectionneur passionné, il les immerge dans des décors savants où se mêlent meubles dépareillés, tapis à motifs, jouets vintage, sculptures africaines, masques ethniques, gadgets... Philip Pearlstein peint ensuite méticuleusement ses modèles, d’une touche à la fois neutre et attentive, évacuant toute tentative de psychologie. Le résultat, frontal et réaliste, s’émancipe de toute interprétation narrative, et propose une réflexion dérangeante sur la puissance de la peinture, la perception et les conventions de la représentation.

Il invente ainsi une figuration du corps humain loin de tout académisme, qui renouvelle la notion de portrait. Dans la lignée d’un Lucian Freud ou d’une Alice Neel, il s’inscrit comme eux dans une revendication d’un retour à la peinture de portrait, au nu, mais chez lui, il y a la volonté de concurrencer l’abstraction moderne new yorkaise qu’il fréquente assidument, tout autant que l’art minimal ou conceptuel. Son approche pionnière et décomplexée de la figure humaine, a fait de lui un des précurseurs du « retour à la peinture » des années quatre-vingts aux Etats-Unis, annonçant par exemple le travail d’un Eric Fischl. Aujourd’hui, dans une époque si politiquement correcte, la radicalité de ses nus et le choix de ses cadrages sans séduction, restent d’une pertinence frappante.