Diverses perspectives atmosphériques submergent subtilement l’espace de la galerie Art Mûr, le temps de l’exposition Épisodique d’Henri Venne. Essentiellement picturales, les propositions évanescentes transforment momentanément l’ambiance de la galerie, imprègnent celle-ci d’une sensibilité, et génèrent une immersion à travers laquelle le visiteur se laisse porter ailleurs en toute légèreté.

L’artiste livre sa production photographique la plus récente par laquelle il arpente les possibilités de représentation de la contemplation de paysages. Ainsi, Venne plonge le regardeur dans l’incarnation picturale de la relation symbiotique qui se déclenche lorsque la mémoire photographique traduit l’acte sensible de se mémoriser. Or, les réminiscences captées ici révèlent des représentations d’une vision purement émotive — sensorielle — plutôt que descriptive. Elles évoquent l’intervalle où les souvenirs s’encapsulent ; l’activation de la mémoire épisodique. Ces images sporadiques résultent de l’observation de paysages bucoliques, sortes d’allusions nostalgiques et de connotations romantiques tout à la fois. Instantanées, les images reflètent des moments passés qui s’avèrent indéterminés, éthérés, voire même effacés. Les espaces convoqués sont troubles, ils apparaissent et disparaissent.

Cette impasse de la mémoire se traduit par une épuration de vues paysagères, à la frontière de l’abstraction et de la figuration. Unifiées dans l’entre-deux, les semi-représentations montrent des étendues rabattues par l’accumulation de filtres translucides. En ce sens, Henri Venne décale l’aspect documentaire du photographique. La photographie évolue en un dispositif réducteur de référents visuels, favorisant le pouvoir de suggestion dans l’acte de contemplation. La manipulation des images accentue efficacement les effets de perception optique alors perturbés et altérés. Seuls les contours fuyants d’un arbre, d’une mare, d’une montagne ou encore d’un sentier apparaissent délicatement.

En l’occurrence, l’exposition offre à voir deux genres de paysages esquissés qui agissent en tant que traces évasives trouées par l’oubli. D’une part, deux monochromes orangés, Elevation 1 (2018) et Yesterday’s Faded (2018), évoquent des vastitudes désertiques voilées de mirages. D’autre part, les compositions Drifting (2018) et Transition (2018) suggèrent des étendues d’eau au moyen de la fluctuation de teintes passant, en alternance, du bleu au vert. Malgré leurs écarts visuels, les paysages quasi insaisissables proposent des similitudes quant aux différents traitements : surfaces spéculaires, effets de réverbérations, aspects feutrés. Les palettes de couleurs s’imposent par des reflets émaillés dans lesquels le visiteur se projette. Il se retrouve cerné par les images vaporeuses et nébuleuses, par l’évidence de leurs imprécisions.

Les transcriptions de ces panoramas agissent directement sur l’expérience spectatorielle. La temporalité d’un déplacement en nature, ponctuée d’instants de contemplation, semble transposée à l’intérieur de la galerie tant notre œil reste loti parmi les atmosphères oniriques.

Évasion spontanée, Épisodique se révèle telle une délicate volupté visuelle qui crée une symbiose entre le souvenir d’un instant passé et la réalité du moment présent ; observer les subtilités d’un paysage autrement afin de ne pas les oublier.