Né en 1971 à Istanbul, Ali Kazma est diplômé de la New School, New York, en 1998. En 2000, il retourne à Istanbul, où il vit et travaille aujourd’hui. Ses recherches s’articulent autour des thèmes du travail, de la maîtrise de son environnement par l’homme et de la capacité de celui-ci à transformer le monde. Ses vidéos soulèvent des questions fondamentales sur le sens de l’activité humaine, de l’économie, de la production et de l’organisation sociale.

Curieux, observateur et soucieux de transmettre certaines réalités de la globalisation du commerce et de l’industrie, Ali Kazma possède une vive conscience de sa responsabilité en tant qu’artiste qui, de par sa production accrue d’images, participe indéniablement à l’augmentation constante de la masse de témoignages visuels existants. Son travail exprime la nécessité vitale de résister à l’uniformisation des valeurs et au nivellement des différences.

« Moi, je travaille, dans mon corps, sur le corps, le corps tel qu’il est dans le monde : c’est le sujet que j’étudie. J’apprends. Et j’ai réalisé que je ne puis apprendre du monde que si le monde apprend de moi. » (Ali Kazma, entretien avec Paul Ardenne et Barbara Polla, in In It, New York, C24 Gallery, 2012, p. 114.) Entre 2006 et 2015, Ali Kazma développe une œuvre vidéo principalement articulée en deux séries, intitulées Obstructions et Resistance. De durées variables (entre 5 et 17 minutes chacune), ses vidéos explorent l’univers de la production industrielle, artisanale et artistique, constituant une immense archive du monde du travail contemporain. Chaque œuvre est une étude des gestes d’ouvriers, de leur rapport à la machine et aux outils, des rythmes de travail et de la cadence des chaînes de production automatisées. De la Réserve mondiale des semences à la cryogénisation, de la taxidermie à l’art du tatouage, d’une opération chirurgicale du cerveau à une usine d’automobile entièrement automatisée, Ali Kazma interroge les effets de la recherche et du progrès scientifique sur l’activité humaine, mais aussi le contrôle que l’homme exerce sur son environnement et sa volonté constante de transformer la matière. La perfection, l’expertise scientifique et artistique ou encore la résistance des corps sont autant de notions abordées dans ses œuvres.

Souvent présentées sous forme d’installations, les vidéos de Kazma happent le spectateur par leur intensité et leur rythme : répétition, précision, bruit des machines et son provoqué par les outils, concentration des protagonistes. La fascination ressentie tient aussi à l’habilité avec laquelle l’artiste parvient à faire oublier sa présence, dont le sujet filmé ne semble avoir aucunement conscience.

Ali Kazma évoque souvent l’importance du corps dans sa pratique – non seulement de celui des personnes qu’il filme, mais aussi surtout de son propre corps, qui s’imprègne des espaces dans lesquels il intervient : « Je dois engager mon corps […]. Je ne peux pas travailler uniquement avec mon cerveau et mes connaissances, je dois aussi m’engager physiquement, me fatiguer, m’épuiser, me battre contre l’ennui et l’obstruction… » (A. Kazma, op. cit., p. 115.)

Ces dernières années, Ali Kazma s’est intéressé aux lieux en tant que témoins de la présence humaine, qu’ils soient habités ou non, à travers l’échelle des espaces, les traces des corps et des objets. « Il y a une sorte de transition entre la série des Obstructions d’une part et Absence et Past de l’autre : l’activité humaine incessante représentée dans les Obstructions ralentit jusqu’à n’être que presque rien dans les travaux les plus récents. » (A. Kazma, op. cit., p. 111.)

Dans les diptyques vidéo Past (2012) et Absence (2011), l’artiste montre des lieux abandonnés possédant une portée symbolique dans sa pratique, en ce qu’ils sont la mémoire du passage de l’homme. Filmant une exploration archéologique en cours à Bibracte, en France, Past évoque la relation directe qui s’instaure par le biais des fouilles avec le passé millénaire de ce site. Absence, à l’inverse, dévoile un bunker militaire totalement abandonné aux Pays-Bas qui devait servir en cas de guerre nucléaire.

Paul Ardenne, qui suit le travail d’Ali Kazma depuis de nombreuses années, fait part de ce qui, pour lui, est l’essence de l’œuvre de l’artiste : « La notion d’énergie qu’incarne si fort, dans sa façon de vivre, Ali Kazma, est, dans Absence, essentielle, tout y donnerait-il l’apparence, au contraire, du repos éternel, de la fin du temps dont le bunker au contenu gelé est a priori l’expression superlative. L’énergie immobilisée dans ce bunker désaffecté nous signifie que quelque chose a été arrêté en pleine course – l’énergie de l’“outside”, comme dirait Ali Kazma –, à présent que plus rien ne bouge et que la poussière recouvre tout. Absence montre en fait qu’une même chose peut ne pas mourir et, tout autant, rester à l’état de complète latence. » (P. Ardenne, op. cit., p. 114.)

Les œuvres d’Ali Kazma ont notamment été exposées à la Biennale d’Istanbul (2001, 2007, 2011), à l’Istanbul Modern (2004), à la Whitechapel Gallery de Londres (2009) ainsi qu’aux Biennales de Lyon (2007) et de São Paulo (2012). Il a représenté la Turquie lors de la 55e Biennale de Venise en 2013.