Certains des films de Basim Magdy sont comme des essais visuels empreints de surréalisme, qui captent l’espace où s’engouffrent désirs vains et désillusions. Ce sont des réflexions pleines d’humour et de scepticisme sur les utopies, qui mettent en question les faits scientifiques et nos espoirs de contre-utopies. Le récit, dans ces films, prend souvent place à l’instant qui précède la révélation que notre vision idéalisée de l’avenir tourne court.

The Dent (2014), par exemple, décrit l’effervescence qui s’empare d’un petit village à la perspective d’être sélectionné pour les Jeux olympiques. Lorsque les habitants, qui n’ont pas ménagé leur peine, comprennent que l’échec est inévitable, ils changent de stratégie et immobilisent un cirque. Dans un autre film intitulé The Everyday Ritual of Solitude Hatching Monkeys (2014), un homme compose un numéro de téléphone au hasard et raconte comment, ayant déménagé pour vivre aussi loin que possible de l’eau, il s’est retrouvé totalement seul après que tous les membres de sa nouvelle communauté, partis à la plage, n’en sont jamais revenus.

Le point de vue adopté par Magdy est celui de l’observateur extérieur, qui interroge ce qui pousse les hommes à vouloir fabriquer des mythes collectifs. Ses films exposent les aspirations et idéologies qui guident les actions mises en œuvre par l’homme afin de construire la cohésion du groupe, soit en exagérant l’importance d’un mythe fondateur, soit à l’inverse en faisant accroire l’idée d’un avenir glorieux. Cette dynamique, qui tend à enjoliver les faits en leur adjoignant des bribes de fiction, peut remplir la même fonction que les histoires nationales ou les sagas familiales, à savoir souligner une particularité qui justifie l’exception présente. Dans les récits de Madgy, la mise en œuvre d’un but élevé est presque toujours sujette à désillusion dès lors que les grands desseins se voient confrontés à la réalité et les individus contraints de se résigner à la banalité du quotidien.

Dans No Shooting Stars [Il n’y aura pas d’étoiles filantes], l’artiste couvre un territoire vierge de mythe fondateur, à savoir l’immensité de l’océan. L’espace aquatique est certes présent dans la plupart des récits religieux concernant la création, et la science y voit même l’origine de la vie. Cependant, hormis la reconnaissance du rôle joué par l’eau en tant que source de vie, les civilisations terriennes n’accordent guère d’importance aux océans. L’océan est comme un territoire endormi aux marges de notre conscience, qui n’a pas sa place dans les livres d’histoire puisqu’il n’a jamais été dans l’intérêt d’aucun groupe de s’en proclamer résident. Au contraire, dans la psychologie collective, le grand large, pris dans la dichotomie terre/eau, est le lieu tout désigné pour accueillir les vagabonds et les prisonniers, et à ce titre représente le versant négatif de la terre, où l’ordre est censé régner.

Cette nouvelle œuvre de Basim Magdy se construit autour du récit d’une personne dont l’identité se confond avec l’océan, d’une entité qui cherche à percer les secrets du monde sous-marin. Le film est fait d’une succession d’images se fondant les unes dans les autres et de scènes oniriques qui entrent en discordance avec le récit. Si certaines images nous montrent ce qui se passe sous l’eau, la plupart décrivent des espaces qui, bien que touchés par le mystère de l’océan, ne peuvent cependant pas l’éclairer. La fable du narrateur emprunte la voie sinueuse de la poésie, intensifiant les sentiments existants plutôt qu’elle ne comble le désir d’explication et transportant le récit à travers les méandres de l’imagination. La surface de l’océan nous est relativement familière – nombre d’explorateurs et de navires l’ont sillonnée au fil des siècles –, mais personne n’a encore cartographié ses abîmes. Selon Jung, l’océan représente notre inconscient, cette immense part de notre activité mentale que nous ne pouvons contrôler. La voix du narrateur – est-il monstre marin, sirène ou tortue de mer ? – nous berce familièrement, mais son image s’évanouit à peine a-t-elle pris forme, en parfaite logique avec la mobilité et l’instabilité de l’univers aquatique.

Le titre, No Shooting Stars, fait écho à ces mots du film : « Dans ces abîmes il n’y a pas d’étoiles filantes / Dans ces abîmes gît une existence / Où vos désirs ne seront pas exaucés. » Magdy qui, dans ses films antérieurs, traitait du désenchantement qu’engendrent les attentes déçues, témoigne ici d’un immense respect à l’égard de l’inconnu. Se plaçant dans une perspective d’humilité, il prend acte des limites de notre savoir et laisse entendre que certaines choses, inconnues de nous, le resteront peut-être à jamais. Renonçant lui-même au projet de capter l’essence de l’espace aquatique, il déroule le film comme une méditation sur ce que l’océan laisse entrevoir de son mystère.