À partir de sable et de cendres mêlés mais aussi d’un feu maîtrisé – le diable n’est pas loin –, ils fabriquent de la lumière que leur souffle modèle en objets précieux. Depuis la plus haute Antiquité, les verriers sont vénérés comme de véritables alchimistes. L’Ancien Régime ne s’y était pas trompé : alors que le peintre n’était qu’un tâcheron assujetti à une corporation, le musicien un simple domestique, l’homme de théâtre un bateleur excommunié, le verrier, lui, était anobli avec privilèges accordés par le roi. Au mitan du XIXe siècle, « l’énorme production moderne, l’obligation de faire vite et à bon marché, ont donné lieu à un grand nombre de produits industriels dans lesquels l’art fait trop souvent défaut ».

Et c’est pourtant dans ce contexte que quelques créateurs vont tout à coup faire d’un banal objet en verre « une oeuvre d’art à l’égal d’une statue, d’un tableau ou d’un joyau ». On dit souvent d’Émile Gallé qu’il est l’homme par qui tout serait arrivé, en quelques années, dans la France de la seconde moitié du XIXe siècle, par qui le verre aurait dépassé sa seule qualité d’art utilitaire. Il a certainement été le plus grand inventeur dans le domaine, mais de nombreuses découvertes ou redécouvertes s’accumulaient déjà depuis des années, des idées faisaient leur chemin et d’autres préparaient la voie. Une révolution n’éclate pas par hasard. Il faut des circonstances scientifiques et industrielles, des convergences économiques et politiques internationales, qui permettent à un créateur de s’épanouir à un instant donné, dans un certain domaine précis, de surprendre le public et d’initier cette révolution qui emporte tout sur son passage – avec le cortège habituel d’imitateurs.

Émile Gallé s’est trouvé au bon endroit, au bon moment, avec son génie, porté par une certitude et un sens aigu de la communication. D’autres ont pris le relais et, un siècle et demi plus tard, le monde vit plus que jamais à l’âge du verre. Le matériau a acquis de nouvelles lettres de noblesse, il n’est plus seulement accessoire, il est environnement total, au point que la puissance de son industrie ferait oublier qu’il est aussi un moyen d’expression artistique largement banalisé.

Texte de Yves Delaborde

L’auteur
Yves Delaborde est historien de l’art et petit-fils d’un des verriers majeurs de l’entre-deux-guerres, Gabriel Argy- Rousseau, dont il a établi le catalogue raisonné (Éditions de l’Amateur / Thames & Hudson, 1990, ouvrage en collaboration avec Janine Bloch-Dermant). D’abord commissaire d’expositions (Ministère de la Culture, Affaires étrangères), il a été metteur en scène, créateur du premier parcours-spectacle audiovisuel (Chenonceau, 1978) et réalisateur de films documentaires sur l’art et l’architecture (Renzo Piano, François Mansart…). Il est également auteur de romans (La Bouche, Plon, 2000). Cette encyclopédie est l’aboutissement de plusieurs décennies d’intimité avec le verre et le reflet d’une vision transversale de l’histoire de l’art et de ses liens avec l’histoire de la société. Elle permet au simple amateur de s’initier, comme au connaisseur et au professionnel de découvrir des aspects méconnus du verre et d’identifier des artistes, des techniques, des styles ou des dates. Elle permet également de se reconnaître dans les créations, si diverses depuis deux siècles, en distinguant ce qui mérite la dénomination d’oeuvre d’art et ce qui relève de la fabrication industrielle ou commerciale – et, accessoirement, de déceler les faux ou attributions fantaisistes.

Prix du meilleur livre de l’année 2012 de l’Académie des Beaux-Arts et du Syndicat National des Antiquaires.

En collaboration avec ACR Édition www.acr-edition.com